Pour son second film, De toutes mes forces, Chad Chenouga s’est inspiré de sa propre adolescence et de son parcours en foyer.


Chad Chenouga, rencontré à Bordeaux, s’est inspiré de sa propre vie et de sa trame intime, dont il a veillé à ce qu’elle ne l’aveugle pas dans son travail. Il avait à l’origine appelé le film La Niaque (du nom de la pièce de théâtre qu’il a créée) et gagné en 2015 avec sa co-scénariste Christine Paillard le Grand Prix Sopadin du Meilleur Scénariste. Avec DE TOUTES MES FORCES, il réalise un film réellement poignant, qui met en scène un beau personnage courageux avec lequel le spectateur n’a aucune peine à s’identifier, et aux côtés duquel il vibre dans un ascenseur émotionnel très fort.


Chad Chenouga place la caméra sur les épaules de Nassim (excellent Khaled Alouach, dont c’est le premier rôle au cinéma) et plonge le spectateur empathique dans les méandres de la vie du jeune lycéen, placé par l’Aide Sociale à l’Enfance dans un foyer après le décès de sa mère défaillante. DE TOUTES MES FORCES est un film sur la difficulté de faire le deuil et l’oscillation des sentiments ressentis : la douleur, la tristesse, la solitude mais aussi la culpabilité, l’incompréhension et la colère de Nassim d’avoir été abandonné à son sort. Les émotions du jeune homme rappellent celles éprouvées par Malony, le personnage de La Tête haute d’Emmanuelle Bercot, et par les gamins de Ma vie de Courgette de Claude Barras. Comme ses alter héros, semblables dans la souffrance, Nassim n’a d’autre choix que de s’intégrer dans un foyer qui a ses propres codes, avec des jeunes souvent délinquants, dont il ne se sent guère proche.


Car Nassim a gardé une vie à l’extérieur du foyer, des amis et une amoureuse au lycée, à qui il ne peut pas dire toute la vérité sur sa situation. Il ne veut pas être plaint mais la honte qu’il ressent empire le décalage avec la vie de ses camarades. Leurs milieux sociaux sont tellement éloignés du sien, leurs préoccupations sont à mille lieues des siennes et leurs parents paraissent si attentifs, si souriants et si différents de sa mère.


Le réalisateur a aussi voulu rendre un bel hommage au travail des éducateurs dans ces foyers, et c’est plutôt réussi. Il s’est inspiré de deux directrices de foyer pour le rôle de Madame Cousin et l’a offert à Yolande Moreau, dont l’interprétation est juste, sans excès quant aux bons sentiments. La directrice, proche de la retraite, est décrite comme quelqu’un qui parvient à garder la bonne distance sans trop s’impliquer émotionnellement, ni s’attacher à ces jeunes souvent de passage. Avec un habile mélange de douceur et de sévérité, elle suscite leur confiance, les soutient, et parfois les protège d’eux-mêmes et veille à leur sécurité. DE TOUTES MES FORCES montre aussi très bien la façon dont la frustration, les difficultés et les contraintes, mêlées au travail de deuil, font naître la dureté et la violence chez les jeunes du foyer, qui ne s’autorisent pas à montrer leur peine. Il décrit également la solidarité, l’entraide, le rire et le partage des bons moments qui peuvent exister entre eux.


Les personnages des jeunes garçons du foyer sont toutefois à la limite de la caricature, comme s’il fallait absolument retrouver certains stéréotypes de caractères dans un tel groupe (à l’image des jeunes que Grand Corps Malade et Mehdi Idir avaient décrits dans Patients). S’y retrouve ainsi le bad boy, le glandeur, le passionné de danse, le rigolo de service. Les personnages des filles du foyer, eux, ont été plus affinés, particulièrement celui de Zawady (Jisca Kalvanda déjà surprenante dans Divines), jeune fille méritante en études de médecine et dont la trajectoire sera freinée par son passage en foyer.


Enfin, mention spéciale à l’actrice Zineb Triki (remarquable dans Le Bureau des Légendes), qui interprète la mère décédée de Nassim et qui réussit la prouesse d’être pourtant présente tout le long du film, grâce à l’intensité de son regard dans le portrait qui accompagne partout Nassim.
Se défendant pourtant d’avoir voulu faire un film à dimension politique, le réalisateur a souhaité interpeller le spectateur quant au « sentiment d’injustice que peuvent éprouver ces jeunes, stigmatisés avec la question des dossiers qui les suivent de foyer en foyer et les obsèdent ». Car si lui-même a eu la chance de pouvoir poursuivre ses études supérieures, il regrette que ce ne soit plus le cas de nos jours.


Par Sylvie-Noëlle pour Le Blog du Cinéma

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le 9 mai 2017

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