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Dear Wendy
6.1
Dear Wendy

Film de Thomas Vinterberg (2005)

— "Hey dis, tu trouves pas ça bizarre que le lapin de Bambi s'appelle Panpan ? Il se fout pas un peu de la gueule de Bambi avec un nom pareil ? C'est un peu comme si on te mettait Cahuzac ministre de la lutte contre la fraude fiscale, non ?"


Ah, pardon, ami lecteur fan, tu es là !
Entre, entre, je commence la critique de suite, assieds-toi. Je vais te parler d'un film décevant mais qui dit beaucoup beaucoup de choses - ce qui est un paradoxe puisque je vais en faire une critique tambour battant, une chouette critique, limite une gloire.


D'ailleurs, comment on en vient à voir Dear Wendy ?
L'explication la plus plausible n'est pas "par amour du western". Non.
Je pense que l'explication la plus plausible se situe par intérêt du putain de duo Trier-Vinterberg, deux des plus grands réalisateurs danois et même de l'univers. Restons modestes. Et malgré cette modestie, cette explication la plus plausible enjoint une question : "Comment foutre caillé de chameau que ce film soit demeuré inaperçu ? Comment c'est possiiiiible ?"


C'est ce qui s'est passé grosso modo dans mon cerveau en tombant nez à nez sur une édition dvd d'occasion de ce film, caché au milieu des nombreuses piles de dvd d'occasions similaires dans un magasin qui vend des dvd d'occasion han quelle coïncidence.


Alors quoi. J'ai acheté. J'ai acheté cette merveille obscure pour me mater ça un de ces quatre afin de dévoiler le mystère, de comprendre le raté.


Je ne discuterai pas du raté. Ce film s'en est pris plein les mirettes déjà et cela ne m'intéresse pas. Il y a tellement de choses à dire avant ça que je ne m'y attarderai pas. Ce film est une bonne idée, et je me tiendrai à cette idée-là.



SUR LE FILM LUI-MÊME



Autant je connais bien le cinéma de Trier - un cinéma tortueux, cassant, profondément humain et basé à chaque fois sur un concept central qui fait mouche - autant le cinéma de Vinterberg, je ne saurai le qualifier. Il me fait penser à un Bertrand Tavernier : habile interlocuteur, bon suiveur, un style tout aussi présent mais, sur le fond, je serais bien bien embêté de voir le fil conducteur de son oeuvre. C'est un conteur, voilà tout.


Et du coup, la collaboration entre les deux me paraît très encline à la complémentarité. Vinterberg, le pragmatique, apporte de la souplesse, de la spontanéité à la cérébralité conceptuelle de Trier qui, lui, est un cinéaste de contraintes, un cinéaste de dogmes.


Un cinéaste de contraintes, qu'est-ce que j'entends par là ? Déjà, ferme ta gueule, commence par là. Ensuite, il me faut expliquer un peu le concept écrit, l'idée maîtresse de Trier que Vinterberg va mettre en forme : un western pacifiste.


Cocasse comme un oxymore, symbole sarcastique des USA et de la NRA, la conception d'un western pacifiste résonne comme un film d'horreur sans peur ou une science-fiction du normal. Et le pire dans tout ça, c'est que ça se fait très bien et que c'est même foutrement pertinent. Dans un monde où la culture occidentale est en permanence confrontée à la mort (bien plus qu'aux plaisirs), incuber une tripotée de jeunes pour mener une expérience inédite au sein d'une société de violences est forcément aussi étonnant qu'excitant.


Si immédiatement on ne comprend pas tout ce qu'un tel concept implique, celui du western pacifiste, l'autre chose qui te pète dans la tronche, c'est quand même la présence, comme je l'ai dit, de jeunes gens, voire carrément des adolescents pubères. D'ailleurs, on les a voulus en pleine puberté, avec des codes rigides et des rites de passage d'un état à un autre, entre le jeu de l'enfance et la prise de conscience du monde c'est-à-dire à l'heure des grandes passions et des grands choix. A l'origine, Trier n'avaient pas écrit ce scénario pour voir jouer une chorale de collégiens. C'est une idée de Vinterberg qui s'est dit : qui dit pacifisme, dit innocence, dit enfants idéalistes. Et c'est vrai que jusque là le concept tient jusqu'au bout, même si ça tourne au concept de trop. C'était une évidence.


J'ai dit plus haut aussi que les histoires de Trier vivaient de contraintes. Il a besoin de cet artifice pour faire surgir tout ce qui peut transparaître d'humains par delà le bien et le mal comme dirait Nietzsche. Ainsi l'exemple le plus flagrant qui vient à l'esprit oscille entre Five Obstructions - que j'idolâtre - et le très brechtien Dogville. En fait, ce sont tous les films de Trier qui évoque ce trait caractéristique. Sinon il s'ennuie, rien n'émerge. Toujours est-il que sa liberté ne ment pas. Elle n'est pas tautologique, cette liberté, elle n'est pas déversée dans le vide, ni assoiffée, non, elle est une force au milieu du torrent. Comme si c'était les contraintes qui amenaient à écrire (c'est ce que j'applique à moi-même à vrai dire, car je considère que, si on ne touche pas aux limites, si on ne vient pas chercher les frontières pour les lécher comme des plaies physiques, on ne fait pas de la recherche un art, mais on fait... de la compta.)


Ainsi le cinéaste du Dogme 95 a dû composer une véritable dissertation de son sujet sous forme de lettre à une arme chérie. Ce thème résonne comme un des nombreux points de vue non défendables que Trier apprécie, de ses chemins de traverse qu'il a tant emprunté : aimer une arme à feu. Et l'aimer, l'aimer, pas comme on aime le chocolat, non, c'est l'aimer jusqu'à crever de jalousie d'avoir été infidèle. On pourrait penser que le sujet imposé soit une liberté motivée par de multiples frustrations. Mais je vois ce film comme une oeuvre corsetée et didactique. D'ailleurs, Trier le dit lui-même : il a un rapport de fascination extrêmement gênée vis-à-vis de sa passion pour les armes mais une passion contrariée par sa volonté pacifiste. Hé oui, l'homme qui voulait comprendre le mal est un pacifiste pratiquant.
Donc, à partir de ce concept inédit, le duo auteuriste développe leur vision comme une caméra sur un travelling : entre bizarreries et cohérences, jusqu'à un climax. Ainsi, un western pacifiste induit d'avoir des armes mais, même si la société est violente - et j'y reviendrai dans deux secondes - leurs armes doivent être aimées, personnalisées, comme des êtres à part entière et être inaptes à tuer, à blesser et même à être dégainées. Même si l'on est provoqué. Trier concocte donc ce qu'il fait de mieux : une charte. Quelle drôle de confrérie, n'empêche ! L'arme est perçue comme une puissance psychologique parce que le monde entier lui donne une toute autre puissance. Elle est comme un soutien moral.


Dans ce film, stimulé par la musique rock hippy de The Zombies (She's not there... ♥♥♥), on croit vite avoir affaire à une aventure des Goonies tant nous, spectateurs, sommes aux côtés de l'équipée amicale. Tout est fait pour nous y conduire : la voix off, intérieure, omnisciente. L'identification est totale, ce qui rendra la chute plus cruelle - bah oui, il aurait été étonnant que Trier écrive une fin positive. Vinterberg aussi, au travers de La Chasse ou de Festen, c'est plutôt quelqu'un qui apprécie la musique de la disgrâce. Alors, disons-le de suite, il n'y a aucune moralité dans ce film, mais une chose est certaine, le manichéisme est entier : la bande d'amis forme les gentils, peu importe leurs drames ; les autres - les adultes - sont ou bien méprisants ou bien vilains, mais tous sont quelque part hypocrites, déloyaux et traîtres.


Et, du fait de cette identification totale, on ressent de manière brutale les événements qui arrivent à cette bande, même si, sur la forme, la réalisation et le dialogue me sont apparus imprécis ou inadéquates, bref ça ne marche pas, ce n'est pas fluide. Et c'est là que la vague impression de regarder un film pour "jeunes" s'arrête. Trier déplore en interview son approche trop théâtrale de l'histoire, et je pense que c'est ce que Vinterberg a apporté. J'en veux pour preuve la représentation de la mort, cette fascination du dessin balistique à même l'écran et des radiographie des impacts. La mort devient transparente, mécanique. Quand tu aimes un flingue, il te le rend bien, en prouvant son amour de ta vie. Le film pousse la représentation de la mort jusqu'à la vision du cadavre à la morgue - ce qui devient le film le moins falsificateur : on prend conscience que la mort à l'écran se découvre dans son entièreté tandis que tous les autres films cessent leur représentation au moment où le corps tombe. Dans "Dear Wendy", on assiste plutôt à une vision omnisciente et amoureuse de la réalité violente et funeste ; on voit avant, pendant, à travers et après - ce qui en fait un film rare de bout en bout. Rare et atypique.



UN WESTERN CONTESTATAIRE



Si le tout demeure chaotique, chaque scène est intéressante et fait avancer le processus d'un film pacifiste par une démonstration où la paix n'existe pas. Et pour cause, au-delà de ce pacifisme absurde, de bonne intention, il y a un discours en filigrane d'une réussite en société qui ne correspond pas aux idéaux de la nouvelle génération. Dans le film, il y a la bande d'ado et... la relation à l'autorité. Ils sont laissés à l'abandon et orphelins le reste du temps : il n'y a pas de parents, l'ado vit seul, se débrouille seul comme un adulte responsable, la mère est tout bonnement invisible ; quant aux hommes, le film en fait des zombies qui sortent de la mine d'Etherslope - nom de la ville. Et, dans cette ville, il convient de suivre le chemin de ces hommes, dont on dit et pense que c'est comme ça, en travaillant à la mine, qu'on devient un véritable homme. Toutes les trajectoires individuelles (ou... balistiques ?) qui diffèrent de ce modèle de réussite sociale sont sujets de moqueries, de mépris. Par conséquent, en nous emmenant dans cette aventure d'un groupe de jeunes marginaux, on cherche quelque part à dérouter, à contrarier cet ordre auquel la nouvelle génération ne croit plus.


A noter que sur le dvd, dans les bonus, la scène finale cachée donne un autre point de vue de cette fin archi-bâclée. Mais le principal est fait : le film demeure passionnant, j'ai voulu le défendre légitimement comme un cowboy sans armure, les héros meurent tous à la fin dans un fracas moral. Ce fracas, c'est l'ordre impulsé par une balle qui te hait. L'histoire nous invite à aimer ce que nous détestons, c'est-à-dire, accroche-toi bien, détester aimer des héros, par amour de la justice, et ce contre l'ordre social, avec des armes pacifistes meurtrières. Bref. On nage dans une confusion logique, comme les deux réalisateurs danois l'affectionnent.

Créée

le 7 déc. 2016

Critique lue 376 fois

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Andy Capet

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