Secrets & lies
Une plongée saisissante dans le quotidien du palais de justice de Paris. Et plus particulièrement dans les entretiens entre les prévenus (qui arrivent de garde à vue) et les procureurs. Et in fine...
le 4 août 2010
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Une pièce étroite et dépouillée comme une cellule. Avec, différence mobilière, juste une table entre deux sièges patinés rigueur administrative.
Deux personnes assises face à face, cadrées serré et filmées de profil par une caméra sur pied, scrupuleusement dans l'axe médian de la situation, immobile sauf de rares et balbutiants débuts de travelling latéral.
C'est bien simple : on ne voit pas plus simple comme principe de base pour filmer du réel.
C'est surtout typique d'un regard. Celui, tout en souci de vérité, transparence, sur des sujets de société durs, fermés sur eux-mêmes, du réveilleur de conscience et de citoyenneté Raymond Depardon. Photo-reporter (Tibesti, Affaire Claustre, Liban...) très renommé, mais aussi M. Cinéma direct ("Faits divers", "Urgences"...).
Et, là, encore une première filmique ! Avec donc le principe cerné au début, omniprésent mais jamais ennuyeux. Car les deux personnes face à face sont l'une un(e) délinquant(e), l'autre le magistrat devant statuer sur son sort avant le passage devant le tribunal.
Durant 1 h 45, on a le temps de ressentir pourquoi ça "interpelle" tant ! Via 14 auditions retenues (sur 86 filmées), après "7 ans de réflexion" du côté de la Chancellerie et autorisations des "acteurs" directs.
Il y a un substitut du procureur, un délinquant entre deux cliquetis de menottes et... un coupable d'emblée ! Depardon lui-même ! Mais, lui, c'est d'oser faire mieux appréhender la Justice, avec plus de justesse. En clair : à un stade clé de sa pratique, de son poids, de ses implications. Et de faire s'interroger aussi à son propos.
Il le fallait. Quotas de base (sexes, âges, nationalités...) s'estompent vite, laissant s'imposer une tragi-comédie si humaine. Questions précises, en refus d'agressivité comme de sensiblerie, patience mesurée et synthèse froide d'un côté (les 3 magistrats ayant dit OK). Fuite - la seule possible - de réponses tout en culot, méfiance ou résignation, dans un français marmonné ou baragouiné, de gens sonnés par la garde à vue, sachant pour la plupart qu'ils jouent leur liberté, le reste de leur vie, de l'autre.
S'il y a un critère qu'il est devenu imbécile de suspecter, c'est bien l'honnêteté intellectuelle de Depardon. Le malaise qui, tôt ou tard, s'empare du spectateur tient bien au fait de se dire que n'importe qui - un ami, sa fille, lui ! - pourrait être à la place de tel ou telle, en mauvaise posture sur l'écran. De pauvres bougres, loin des criminels de haut vol, impossible à filmer, eux.
Et le déséquilibre d'observation s'installe. Avec regard tendant finalement à s'apitoyer sur les prévenus et à se durcir sur les magistrats. Une audition de 7 à 15 mn, cela paraît court pour jauger/juger une personnalité, un parcours d'échecs coupés de leurs raisons, avant de décider de façon olympienne : comparution immédiate ou remise en liberté avec contrôle judiciaire et convocations.
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Ce soir-là, dans une sous-préfecture languedocienne, Raymond Depardon était invité par le Barreau local à présenter/commenter son film. Il a eu cette phrase pertinemment sentencieuse : "Avec ce film, on voit enfin ces "prévenus", "déférés". Ceux qui vous volent un autoradio ou autre chose et qu'on va juger en votre nom !".
Un des magistrats présents a ainsi défendu son ingrate mission : "Il y a la Loi à appliquer. Et la situation ne se prête pas aux sentiments envers quelqu'un contre qui on va peut-être requérir une heure plus tard...".
"Problème d'abord d'écoute au sein de la société", a aussi lancé comme piste de réflexion Raymond Depardon, fort de son incessant combat humaniste pas du tout menotté !
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Créée
le 3 déc. 2017
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