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Samedi 11 novembre, Arte a diffusé le documentaire « Demain, tous crétins ? » et qui est en ligne sur le site de la chaîne.


Ce documentaire met en scène un sujet important, les effets des perturbateurs endocriniens sur la thyroïde et le développement du cerveau. Mais, à trop vouloir mettre en scène, Thierry de Lestrade et Sylvie Gilman, nous prennent… pour des crétins.


Au lieu d’aborder le sujet sérieusement et de façon précise, le documentaire choisit un parti-pris alarmiste et fait des raccourcis scientifiques bien trop rapides. Mélangeant supposée baisse du QI, augmentation de la détection des syndromes autistiques et effets des perturbateurs sur la thyroïde et le développement du cerveau, le documentaire veut nous faire comprendre que le lobby de l’industrie chimique nous vend des produits qui peuvent être dangereux pour notre santé. Certes, il faut l’expliquer. Mais est-ce une raison pour prendre les téléspectateurs pour des demeurés ?


Un titre crétin


Dès le titre, « Demain, tous crétins ? » , le docu sous-entend qu’une grande majorité de la population risque d’être touchée par le crétinisme. Ce titre joue d’ailleurs sur le lien entre une maladie, le crétinisme, due à une insuffisance thyroïdienne entraînant notamment des retards mentaux et le terme « crétin » qui désigne, de façon méprisante, quelqu’un d’inintelligent. Alors, oui, on le verra plus tard, le documentaire a un lien avec la maladie mais l’utilisation du terme « crétin » est très malvenue.
Une introduction sensationnaliste


Venons-en à l’introduction. Et je ne sais pas si je viendrai à bout de cette critique tellement il y a de choses à dire sur les 6 premières minutes.


Dès, le départ, la voix off nous explique que le « futur de l’humanité » (je n’exagère pas) dépendra de la façon dont les femmes géreront leur grossesse en protégeant, contrairement au placenta, le cerveau de leur enfant. Attention, femmes enceintes, vous avez l’avenir de l’humanité dans votre ventre. On ne vous l’a pas suffisamment dit, il fallait que ça soit répété ici.


Puis, on passe, sans transition, à la question de ce que serait « l’histoire de l’humanité sans ses génies, ses mathématiciens, ses artistes, ses explorateurs ou ses philosophes » (Mozart, Marie Curie, Einstein, Al-Khwârizmî, Luther King, etc). Le documentaire, suggère de façon assez brutale, que si les femmes enceintes ne prennent pas en compte ce qu’on va leur dire pendant les 50 prochaines minutes, l’intelligence humaine ne sera plus. Tout simplement.


Cette séquence se finit sur cette sentence :


« Devant ces menaces, certains prédisent une évolution à l’envers ».

Il y aurait tellement à dire sur cette phrase. Déjà « ces menaces » ne sont pas clairement définies avant la prononciation de cette phrase.


Ensuite, l’utilisation du terme « certains » est plus que flou, on ne sait pas qui prononce cette prédiction.


Enfin, l’expression « une évolution à l’envers ». Son utilisation montre une maîtrise plus que douteuse du concept de l’évolution. En biologie, le concept d’évolution ne comprend pas, intrinsèquement un progrès. Il ne peut donc pas y avoir « d’évolution à l’envers ».


La séquence d’après part carrément dans la comparaison avec la fiction, et pas des moindres, puisqu’elle reprend un extrait de la comédie de science-fiction satirique Idiocracy.


L’extrait est commenté par la voix off :


« Un monde où l’humanité aurait basculé dans la stupidité, comme le décrit avec cruauté le film Idiocracy. Ce futur peut-il être notre futur ?»


On sort clairement du registre burlesque et complètement fictionnel du film. Non, ici, le futur d’Idiocracy est pris au sérieux. On ne peut que s’accrocher à son fauteuil : on nous promet un cauchemar. Et ce n’était que les 90 premières secondes du documentaire.
La fameuse baisse du QI


Pour appuyer sa thèse d’un danger imminent pour l’humanité, il faut montrer que quelque chose d’alarmant est déjà en train de se passer à grande échelle. L’intelligence et sa mesure étant un fantasme tellement bien ancré en occident depuis le début du XXe siècle que l’éventuelle baisse du QI remplira facilement cette tâche.


Mais justement, un anthropologue, Edward Dutton, a publié plusieurs articles sur une potentielle baisse du QI général mais je doute fortement de ses conclusions.


Si vous voulez en savoir plus, j’ai publié en parallèle un billet analysant cette étude de façon plus précise.


Mais baser toute la peur du documentaire sur la baisse du QI générale me paraît bien alarmiste. Et pourtant Dutton, dans le documentaire l’affirme, en faisant tomber une pyramide de Kapla de façon dramatique :


« Nous devenons de plus en plus stupide. […] Ça ne va pas s’arrêter. Si nous ne faisons rien, la civilisation qui repose sur l’intelligence ira en sens inverse. Et tout laisse penser que c’est déjà en train d’arriver. »

Tremblons !
Mozart et Bach à la rescousse


Le documentaire essaye ensuite de faire le lien entre cette supposée baisse du QI et les études sur les effets des perturbateurs endocriniens sur la thyroïde et le développement du cerveau.


Les documentaristes n’en ont trouvé qu’un :


Barbara Demeneix, une des chercheuses sur les effets des perturbateurs endocriniens sur la thyroide. elle se demande si on reverra, un jour, un autre Bach, un autre Mozart.
Barbara Demeneix, un violon à la main, montrant son intelligence


J’avoue ne pas voir le lien entre une baisse du QI entre 1997 et 2009 et l’impossibilité de voir surgir de nouveaux « génies » de la musique. Et comme les tenants de l’effet Flynn négatif ne remettent pas en question un effet Flynn avant cette période, notre civilisation doit être plus « intelligente » que celles de Bach et Mozart, non ?


Bref, le génie n’a pas grand chose à voir là dedans mais il faut l’évoquer. Peut-être pour suggérer que Demeneix en est un, de génie ?


Puis, comme pour faire une opposition au génie, peut être définitivement perdu, des célèbres compositeurs de musique classique, la voix off évoque maintenant l’augmentation de la détection des troubles psychologiques tels que les déficits d’attention, l’hyper activité ou encore d’autisme. L’augmentation du diagnostic d’autisme chez les enfants de Californie serait de 600% entre 1990 et 2001 et 1⁄68 des enfants américains serait diagnostiqué comme tel. Questions de la voix off :


« qu’est ce qu’il se passe ? Se pourrait-il qu’il y ait un lien avec la baisse du QI ? »

Rien dans le documentaire ne pourra répondre à la deuxième question. Elle n’est donc pas posée pour introduire une réponse mais pour faire le lien que la recherche scientifique ne fait pas (pas encore en tout cas).
Déréglage de la thyroïde


Pour la première question, B. Demeneix pense immédiatement à la thyroïde en voyant ces données en évoquant, enfin le crétinisme, cette « maladie congénitale grave», mélant petite taille, retard mental et goître au niveau de la thyroïde.


Et c’est toute cette partie du documentaire qui est intéressante. On nous explique que le crétinisme est lié à un mauvais fonctionnement de la thyroïde dû à une carence d’iode. Ce lien a été établi, chez l’adulte mais aussi chez le bébé dont la mère a été carencée en iode pendant sa grossesse, par un médecin militaire américain en 1966, Peter Pharoah, qui a observé la maladie en Papouasie nouvelle Guynée.


Et Barbara Demeneix est beaucoup plus pertinente pour nous parler de ce sujet : elle est endocrinologue au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris et travaille particulièrement sur la thyroïde. Enfin, on parle du vrai sujet du documentaire et sérieusement : « sans hormone thyroïdienne notre cerveau ne se développe pas correctement», nous explique-t-elle. L’iode que l’on absorbe en mangeant du sel (iodé) ou du poisson permet, un bon fonctionnement de la thyroïde et au cerveau du bébé de se développer de façon normale dans le ventre de la mère.


Le documentaire nous balade donc d’exemple en exemple sur les conséquences des carences en iode puis nous explique que des produits industriels contiennent (ou contenaient car certains, comme le PCB, ont déjà été interdits) des perturbateurs endocriniens (bromure, chlore ou fluor) que notre corps confond avec les hormones thyroïdiennes. En Californie, par exemple, les chercheurs interviewés dans le documentaire affirment qu’il y a un lien entre l’exposition massive de pesticides agricoles et certaines troubles psychiatriques. De même à New York, certains insecticides auraient des conséquences néfastes. Mais le documentaire lui même nous explique que les États-Unis ont interdit ces insecticides.


Alors, oui, notre société utilise sans doute des produits qu’elle ne maîtrise pas et il faut donc réfléchir à leur place et à leur utilisation. Mais est-ce pour autant sain de jouer exagérément avec nos peurs ?
Conclusion effrayante


C’est en tout cas la ligne de ce documentaire jusque dans sa conclusion. La voix off utilise des expressions toutes faites qui ne veulent rien dire.


Par exemple, « nous baignons dans une véritable soupe chimique ». Alors cette phrase est vraie, puisque même notre corps, nos aliments, nos tables sont composés de « molécules chimiques » (autre expression utilisée dans le documentaire); une molécule étant une structure de base de la matière. Mais notre corps n’est pas, à proprement parler un danger direct pour lui-même (sauf si on est suicidaire, peut être). Et d’autres assertions du même genre, jamais appuyées sur des connaissances scientifiques sont alignées pendant les quinze dernières minutes.


Mais l’une d’elle fait encore plus le lien avec l’introduction. Barbara Demeneix soutient que l’industrie peut évoluer et inventer des molécules non toxiques, « sinon, nous allons probablement assister à la disparition de la structure la plus sophistiquée que l’évolution a jamais créé, le cerveau humain. »


Des biologistes, évolutionnistes, philosophes des sciences auraient beaucoup de choses à dire sur cette simple phrase. Je ne sais pas comment Barbara Demeneix décide que le cerveau humain est la structure la plus sophistiquée que l’évolution a jamais créé. Mais elle l’assène de façon tellement forte qu’elle est convaincante. Ou pas.


Alors, certes Barbara Demeneix et ses collègues portent, avec les perturbateurs endocriniens pouvant entraîner un mauvais développement du cerveau, un sujet important mais est-ce une raison pour les accompagner dans cette croisade de l’angoisse d’une civilisation crétine ? J’en doute très fortement. Et ça me rappelle étrangement un autre documentaire difficile à digérer, lui aussi diffusé à l’époque sur Arte, Notre poison quotidien, que j’avais chroniqué pour OWNI.
One more thing comme dirait l’autre


Edit 21:00 :


À vouloir finir un peu trop rapidement, j’ai oublié une chose un peu importante dans tout ça. Il faut poser la question aux auteurs du documentaire et à Barbara Demeneix :


« comment font-ils le lien entre une baisse potentielle du QI général en Finlande, pays très peu agricole (et encore moins spécialisé dans l’agriculture intensive) et très peu urbain et les troubles psychologiques des enfants de Floride, qui sont, eux très exposés aux pesticides ou de NewYork qui vivent dans un milieu très urbain ? »


Si l’exemple de la baisse du QI est la Finlande, celle-ci ne peut s’expliquer par l’agriculture intensive et les insecticides urbains. Alors, au lieu de sauter sur l’occasion d’une étude mal ficelée sur le QI, les auteurs auraient dû mieux exposer les risques des perturbateurs endocriniens.

Martin_Clavey
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le 15 nov. 2017

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Martin Clavey

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