Déménagement
7.5
Déménagement

Film de Shinji Sômai (1993)

Le nom de Shinji Sōmai, mort prématurément à 53 ans en 2001, n’est pas très familier de la cinéphilie internationale. C’est pourtant une référence au Japon, et un cinéaste comme Kore-eda ne tarit pas d’éloges sur son œuvre, qui comme la sienne, s’attarde sur la famille en privilégiant le point de vue de la jeunesse. Déménagement, sorti initialement en 1993 et bénéficiant aujourd’hui d’une restauration digne de ce nom, évoque ainsi le cheminement de Ren, une fille qui tente de composer avec le départ de son père, alors que ses parents sont sur le point de divorcer.


La première heure du film s’attache ainsi à filmer à hauteur d’une enfant déstabilisée par la rupture d’un équilibre. L’intelligence du point de vue consiste à ne pas plaquer sur sa sensibilité les ressorts traditionnels du pathos, en adoptant au contraire les codes d’une réaction fondée sur la vivacité, et une série de reflexes qui tiennent de la survie : Ren court, interpelle, invective ses parents, sans presque jamais quitter un sourire qui dit sa force et sa volonté d’affronter l’adversité. En résulte une tonalité singulière, où l’immaturité se déplace, par le regard de l’enfant, sur des parents perdus (une mère satisfaite de sa liberté, un père très maladroit dans sa communication), essayant, à renfort de contrats et de rencontres planifiées, de maintenir une illusion de cellule familiale.


Les couleurs marquées des années 90 (Ren et ses chemisiers vif, un téléphone vert pomme) cohabitent avec des filtres chromatiques marqués, comme pour appuyer ce prisme hyperbolique par lequel la pré-adolescente appréhende le monde : le regard tendre de Sōmai prévaut, pour cette enfant qui va devoir affronter le regard des autres et comprendre surtout qu’elle ne devra compter que sur elle pour définir sa place.


C’est là l’objet de la seconde partie du film, marquée par une transition violente durant laquelle les affrontements vont devenir plus explicites : l’espace restreint de l’appartement étouffe les protagonistes qui en briseront certaines cloisons, de la même manière que le cadre scolaire sera soumis à une tentative incendiaire de la jeune élève déboussolée. Un prélude à une échappée vers un festival des lumières où elle va, dans un dernier espoir, réunir sans les prévenir ses deux parents, et durant lequel elle pourra enfin entreprendre le chemin de son existence par elle-même. Cette superbe dernière partie délaisse les derniers repères de Ren (la conversation, les parents, les camarades) pour un rite initiatique irrigué par l’onirisme, le sacré et la force de la nature. Dans de formidables séquences visuelles (les meules en feu, les feux d’artifices, le bleuté d’une nuit sylvestre, les flots illuminés par un navire incendié…), Ren s’abreuve des richesses du monde, et surtout de ce qui s’y déroule en termes de destruction, de perte et de renaissance. La richesse picturale qui n’est pas sans rappeler celle d’un Kitano (Hana bi signifie d’ailleurs feux d’artifice) accompagne des motifs mémoriels et des visions proches de l’univers de Fellini, où l’esthétique s’enrichit des projections de l’inconscient, du patrimoine de la mémoire et des élans vers le futur. Le très beau plan-séquence final, que l’on se gardera bien de dévoiler, atteste de cette force nouvelle trouvée par la jeune fille pour poursuivre la route : à nouveau par un pas de côté, une voie de traverse, qui incarne avec force cette capacité du cinéma à générer les images des tourments, mais aussi à mettre en mouvement les êtres pour les surpasser.

Sergent_Pepper
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le 6 nov. 2023

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Sergent_Pepper

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