Les cinémas rouvrent enfin, c'est un événement qui se fête malgré le catalogue court et limité qui s'annonce dans un premier temps dans les salles obscures. Mais parmi les petits événements dédiés à diverses communauté, difficile de passer à côté de l'un des phénomènes au pays du soleil levant et ce qui est en train de devenir comme l'un des grands succès en dehors de son territoire d'exploitation malgré la crise pandémique.
Il va m'être difficile de parler de Demon Slayer sans pour autant évoquer brièvement l'animé, sachant que ceux qui liront ces lignes auront au moins eu l'idée de voir la saison 1 avant tout. Si le manga de Kotoharu Gotõge a été un véritable raz de marée au Japon, ici le succès a dû se faire en deux fois après un premier lancement catastrophique sous le titre Les Rôdeurs de la nuit avant qu'une nouvelle version reprenant le titre d'origine Demon Slayer ne soit adopté par le même éditeur, panini manga. Ceci étant dit, méfiant vis à vis des retours à double tranchant, j'ai préféré attendre l'animé pour me faire ma première impression récemment.
Et je ne serais peut-être pas aussi dithyrambique ou élogieux qu’on pu l’être bon nombre d’adepte de manga (surtout le Shonen Nekketsu) ou de l’animé. Dans les faits, la trame n’a pas encore trouvé d’occasion de se distinguer pleinement sur le plan narratif et il a des lacunes vraiment évidentes quand il s’agit d’apporter de la comédie tant elle est souvent hystérique pour pas grand-chose ou dissonante. Et Dieu que je hais ce petit blondinet pleurnichard et criard de Zen’Itsu, il est l’incarnation d’une grande partie de tout ce qui ne va pas dans cet animé et encore je me retiens d’en dire le plus de mal possible mais je vous jure que je n’exagère pas quand je dis qu’il ne mérite pas sa communauté de fans chez nos voisins nippons et j’ajouterais même qu’il fait plus Usopp du tocard qu’autre chose.
Mais à côté de ça, lorsqu’il ne tente pas de faire des apports comiques maladroite, Demon Slayer est beau et réussit à montrer des moments de poésie, de tragédie ou de bravoure de manière particulièrement percutante. Le travail ayant été confié au studio Ufotable, spécialisé dans les adaptations de la série Fate Stay Night, et qui font partie des studios d’animation à sublimer l’esthétique de leurs animés aux côtés de Wit Studio (L’attaque des titans, Vinland Saga, The Ancient Magus Bride) en plus de soigner la mise en scène pour le plaisir de nos mirettes et d’avoir par moment un sous-texte intéressant (la recrudescence de jeunes recrus devenant quasiment des enfants soldats pour le compte de l’armée japonaise). Et en bonus, la musique est absolument magnifique en plus d’avoir l’artiste LiSA pour le générique de fin. Sans oublier que Demon Slayer a l’avantage, dans notre langue de Molière, d’éviter la redite auditive du côté de la VF et d’avoir un casting hétéroclite (plusieurs comédiens réunis ayant très peu voire pas du tout fait du doublage en animation japonaise) en comparaison d’animé ayant bénéficié d’un doublage français récemment.
Avec tout ça, pas étonnant que le film d’animation ait suscité un engouement pareil, avec un budget plus conséquent toutes les promesses pouvaient être espéré : sont-elles tenues ?
Demon Slayer : le train de l’infini, contrairement à bon nombre de film dérivé d’un animé japonais (comme les 2 films My Hero Academia), a à la fois un mérite incontestable mais aussi un risque réel. Le fait même de poursuivre le récit du manga et de constituer une passerelle entre les deux saisons lui confère une indispensabilité bel et bien réelle, mais de l’autre s’il n’a pas un récit consistant et essentiel justifiant ce changement de format et un ton ou un événement clé bien à lui, il passera plus pour un passage à vide qu’autre chose. Est-ce qu’il a ce fameux événement ? Oui, mais ce n’est pas forcément celui auquel on pense.
Pour commencer par ce qui lui fait défauts, je suis moins sujet à critiquer les monologues intérieurs que certains, c’est devenu une habitude dans les Shonens ou Shôjo. Mais ici force est d’admettre que lorsqu’on passe à la case cinéma ou la règle d’or est :
Don’t tell, show us !
elles brisent souvent cette règle comme s’il avait un manque de confiance en ses images (ce qui est un comble quand on voit, ne serait-ce, que les noyaux intérieurs des rêves de Tanjiro et Rengoku et qui retranscrivent la personnalité et l’état d’esprit de chacun de ces deux pourfendeurs). Quand il s’agit d’une information nouvelle ou un rappel rapide concernant le souffle des éléments par exemple, ça n’est pas un problème.
Mais lorsqu’il s’agit d’une douleur déjà connu depuis la première saison et surtout lié au background de son héros, c’est tellement superflu que bon nombre de ces monologues retirés auraient donné plus de poids à la cruauté de la situation traversée par Tanjiro et au pouvoir sanguinaire de la lune inférieur.
Alors que, justement, la menace mise en place et annoncé à la fin de la saison 1 est crédible et solide : en la personne d’Enmu, la dernière lune démoniaque de rang inférieur au pouvoir de songe servant aussi bien de drogue douce pour ses fidèles que de piège faussement tendre et apaisant en apparence pour ses proies. Bien qu’il soit à l’origine de l’unique et seule faute de goût visuel du film, il reste un danger réel à l’origine de situations périlleuses et de bonnes idées vraiment prenante
(le suicide répété de Tanjirô en rêve aussi troublant que nécessaire, la gestion de l’espace entier du train quand son pouvoir prendre véritablement forme).
D’autant que question personnage, si certains comme Zen’Itsu s’effacent (dieu merci, j’aurais pas pu supporter si il était sur le devant de la scène) et que Tanjirô reste trop classique au goût de beaucoup, d’autres réussissent enfin à avoir leur moment de gloire : Inosuke le premier qui se révèle pleinement être un soutien essentiel et aide à garder la tête haute dans les moments les plus douloureux
(dont la tentative malheureuse de suicide de Tanjirô dans le monde réel)
, et Nezuko qui se montre toujours présente et essentielle également.
Et sur le plan esthétique difficile d’être de mauvaise foi : c’est beau, mais vraiment beau (avec un grand B). Les effets de feu et d’eau qui semblent tout droit inspiré d’estampe japonaise qui prend vie et se distinguaient déjà dans la série d’animation, la coordination de l’action et sa lisibilité en plein mouvement sans le moindre faux pas, ses angles et ses cadrages et mouvements à fait perdre la tête (dans le bon sens du terme), l’alchimie colorimétrique qui règne tout du long avec ses repères de couleurs selon les lieux, la gestion de l’espace afin que les impacts se voient et que les visages restent près, même la matérialisation du démon en image de synthèse plus visible, plus fétide et intrusif finit par s’adapter avec les lieux au bout d’un moment. Le train devient un véritable champ de bataille exploitant aussi bien les petits espaces que le passage en plein air. Même si la physique se fait parfois bien démonter pour les besoins du spectacle (règle et assouplissement pour un shonen nekketsu oblige), ça serait chipoter que de dire qu’il n’y a pas de quoi exulter devant une telle démonstration.
…puis arrive ce dernier tiers qui enchaîne de manière trop abrupte et soudain un événement totalement déconnecté des deux premiers tiers
: le premier combat contre une Lune Supérieur... avec la voix de Sébastien Desjours, notre bob l'éponge national.
Qui peut aussi bien être un bonus ultra généreux qu’une démarche fan-service grossier mais inévitable pour tenir sur la durée puisque rien n’avait préparé à cet enchaînement d’événement anticartésien. Ce qui nous ramène au problème source de ce passage au grand écran avec sa volonté de suivre les codes de l’animé, se voulant fidèle… mais dont la continuité peut mener à un enchaînement qui passerait davantage en épisode qu’en film. Car dans le cas présent : on n’a plus l’impression de voir un épisode adapté pour le cinéma, mais deux qui sont déconnecté l’un de l’autre et où il manque un vrai fil conducteur.
Et ce malgré les qualités graphiques, un combat animé de manière dantesque poussant les compétences de l’équipe Ufotable à son paroxysme, et des morceaux musicaux incroyables du duo Kajiura/Shiina dans ce dernier tiers
qui donne aussi bien ses lettres de noblesse à Rengoku qu’une fin trop prématurée à un personnage qui réussi à imposer sa présence correctement et à montrer un charisme réel.
Le souci n’est pas tellement d’ordre scénaristique mais plus de coordination et de fluidité narrative puisqu’au pire ça passe pour un fan-service copieux mais qui aurait eu une meilleure place sur le petit écran, au mieux comme une volonté maladroite mais sincère de faire plaisir et créer une véritable tournure dramatique pour la saison prévu courant 2021…
ce qui marche qu’en partie puisque si la force du pilier et ses convictions sont bien démontré et que les comédiens le font vivre pleinement et nous le font apprécier sur le coup, Rengoku reste introduit de manière tardive et faudra pas s’étonner si la larmichette ne coule pas si facilement pour tous.
Néanmoins, en termes de doublage, Natsuki Hanae comme Yoshitsugu Matsuoka et Satoshi Hino ont déjà prouvé leur talent dans l’animé et ne démord nullement ici. Mais la VF n’a aucune à rougir face à nos voisins nippons : pour la petite histoire, contrairement à bon nombre d’animé qui doivent souvent s’adapter à des limites budgétaires, Demon Slayer a pu bénéficier du système du simuldub en doublant les épisodes par petit nombre, au lieu de l’intégral d’une saison en une fois en un temps souvent réduit, afin de ne pas provoquer de redite dans le choix des comédiens. Non seulement cela fonctionne du tonnerre mais le casting est tout aussi déchaîné et engagé que dans la langue d’origine : Enzo Ratsito qui prête ses traits à Tanjirô déborde de hargne et de présence, Christophe Lemoine est fidèle à sa réputation de voix grincheuse et criarde mais s’accorde très bien avec le tempérament d’Inosuke, Anatole de Bodinat est exquis en Enmu, Maxime Baudouin a tiré le mauvais numéro pour Zen’Itsu mais ça aurait été difficile de le rendre plus supportable qu’en VO, on va dire qu’il est fidèle, et Adrien Antoine délivre sa performance la plus enflammée et énergique depuis longtemps dans la peau du pilier Rengoku et balaie sans mal tout le reste du casting par sa puissance vocale monstrueuse.
Plus qu’un bonus pour les fans mais souvent entravés par ses liens l’unissant à sa fidélité imposée vis-à-vis du manga, Demon Slayer : le train de l’infini a définitivement bien des choses pour lui mais pas suffisamment pour justifier une hype aussi immesuré. Je veux dire… oui, c’est bien, même très bien par divers aspects et je ne nierais pas avoir pris mon pied plus d’une fois. Mais il est bien de la même manière qu’un Redline, qu’un Les Enfants de la mer ou qu’un Amer Béton : l’équipe est largement compétente et a une personnalité distinguée qui se dégage de leur travail mais en comparaison d’une folie furieuse plus libre et plus longuement pensé comme Promare d’Hiroyuki Imaishi, qu’un film de Mamoru Hosoda ou qu’un bijou de Satoshi Kon ou Hayao Miyasaki, il ne tient pas tellement la comparaison. Ironique quand on voit que même Le Voyage de Chihiro s'est fait doubler sur le plan de la rentabilité au box-office.
Ce divertissement a une popularité exagérée, peut-être même trop à mon humble avis de cinéphile doublé d’un adepte de Japanimation, mais il est sincère et délivre ce qu’on attendait le plus de la part d’un studio comme Ufotable : en avoir pour notre argent et nos mirettes et avoir la sensation d’avoir vu un film qui a une existence justifiée par rapport à ce que d’autres film d’animation dérivé d’animé du petit écran ont pu délivrer (comme les médiocres films d’animation Fairy Tail ou les premiers films One Piece franchement pas extraordinaire même comme bonus). Et pour ce qu’il propose, la sortie en salle est justifiée.