Der Fan
6.3
Der Fan

Film de Eckhart Schmidt (1982)

Le film étant encore grandement inconnu de par chez nous, cela fait partie de ces rares pépites ou Ovnis cinématographiques qui réjouissent le cinéphile quand il tombe dessus. Et quand il se le prend en pleine tronche, en bon sadomasochiste qu'il est généralement, c'est encore meilleur.


Nouveau parfait portrait de la psyché humaine comme les pays teutons nous y ont habitué vers la fin des années 70 au début 80's, on est toutefois plus proche ici en un sens de « Moi, Christiane F » (Uli Edel - 1981) que d'un « Schizophrenia » (Gerald Kargl - 1983). Et pour cause puisqu'on se cristallise à nouveau sur le portrait d'une jeunesse tourmentée nourrie par une obsession psychologiquement maladive. Remplacez la drogue purement et simplement par un chanteur de cold-wave allemand (le chanteur du groupe Rheingold –qui compose la bande originale-- himself!), l'addiction reste la même et c'est troublant.


Der fan, c'est l'histoire de Simone, jeune fille qui ne semble plus que vivre et respirer (et à peine manger soit dit en passant) que pour avoir la chance de rencontrer « R », son idole, sa star, son dieu. La posture noir et blanc mélancolique et déprimée du jeune chanteur maladif à la Ian Curtis (Joy Division) tapisse littéralement de milliers de photos les murs de sa chambre et jour après jour (rappelons que les réseaux sociaux n'existaient pas encore), la jeune fille lui envoie une, voire plusieurs lettres... Hélas, jamais une réponse ne lui parvient. L'ado perdue en vient de plus en plus à attendre le postier sur son lieu de travail, quitte à le harceler, renverser son courrier dans l'espoir de recevoir la sacro-sainte réponse. Mais rien. Elle en vient à penser que le postier lui vole son courrier, que ses lettres sont volées... De sombres pensées l'abreuvent jour après jour quand ses nuits ne sont peuplées que du visage rassurant et plein d'aura de « R ». Pourquoi dès lors continuer à rester dans son bled paumé quand le bonheur est à portée de main ? Venir en cours ne sert plus à rien si c'est pour rendre à chaque fois une copie blanche face à des enseignants et des adultes qui ne sont pas dans son monde. Même ses parents ne peuvent comprendre qu'elle fond littéralement en un petit strudel écrasé quand le beau visage blafard passe à la télé. S'ensuit presqu'un pugilat quand, sacrilège, le paternel reprend les droits sur la télécommande. S'en est trop, Simone fugue, elle part à Munich avec zéro argent, juste de l'auto-stop et peu de recul sur les dangers qui pourraient la guetter. « R » va la reconnaître, il saura lui. Simone arrivera t-elle à voir son idole ? Et si oui, que se passera t-il alors ? Vous le saurez au prochain épi... Oops.


Avec patience, Schmidt brosse un portrait presque mental de la trajectoire noire de la jeune fille, échappant pourtant à toute notion pathétique de misérabilisme et nous promenant constamment entre ses rêves et désirs et la réalité. Et si justement de par la mise en scène, le jeu des lumières et cadrages, au début la différence peut sembler nette pour le spectateur, on finit par s'égarer lentement en même temps que notre Simone maladivement dérangée. L'histoire de cette fan de plus en plus radicale ne nous surprendra pas du coup et pourtant, le réalisateur a le mérite de suivre son programme quitte à aller jusqu'au bout sans jamais dévier une seconde, faisant de cette pépite, un petit monument de noirceur dérangée et finalement horrifique aussi culte que le « Schizophrenia » de Kargl qui finit par nous terrasser K.O au final.


Clairement donc le genre de film dont il ne faut strictement rien savoir ni même lire de résumé ou voir la bande-annonce pour garder intact toute la surprise et l'ambiance du film.


Surtout quand on voit la jeune actrice du film, Désirée Nosbuch qui porte finalement tout le film sur ses épaules, assumant tous les plans, ce qui n'est d'ailleurs pas des plus aisé dans un film où il y a un peu de nudité et quelques séquences choc. Pour l'anecdote d'ailleurs, Désirée était mineure au moment du tournage (elle ne sera majeure un an plus tard) et elle reniera très vite le film et son réalisateur car c'était apparemment mauvais pour son image (elle devint une grande présentatrice renommée de la télé allemande)...


Il y aura un procès qui durera un bon moment avant que le film ne soit visible entièrement et sans censure. D'ailleurs l'ex-actrice finira par se réconcilier plus tard avec le réalisateur et ils deviendront même très bons amis, comme quoi parfois les belles histoires c'est pas dans les films qu'il faut les chercher (surtout dans celui-ci), mais dans la réalité curieusement. Une manière de dire aussi que le cinéma et la réalité sont deux choses différentes qui peuvent tout autant se compléter qu'être contradictoire dans la manière de raconter quelque chose. D'ailleurs rien que dans les mots « mettre en scène », on oublie trop vite qu'il y a justement l'idée de recréer quelque chose par rapport à ce qui est vu et perçu comme du réel. Afin justement parfois d'avoir un autre point de vue ou le recul nécessaire sur ce réel.


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Retrouvez aussi cette mini-chro dans sa version "filmée" avec ma tronche en gif et ma douce voix d'acteur Bressonnien (j'vous jure, sérieux...) sur tutube ici : https://www.youtube.com/watch?v=pum8bgpmch0

Nio_Lynes
9
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Créée

le 2 mars 2020

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Nio_Lynes

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