Je serais passé à côté de la sortie de ce film, si il y a une semaine de cela environ on ne m'avait pas passé le Figaroscope dans lequel, après des reviews de Hugo Cabret, Happy feet 2, et autres machins que tout le monde va aller voir, j'ai eu la surprise de découvrir Dernière séance, film d'horreur français qui s'inspire des giallos et des slashers ! Il me fallait voir ça.
Au vu des critiques presse mitigées, certains adulant néanmoins le film, et des critiques spectateurs pratiquement toutes négatives, j'ai hésité, mais la bande-annonce m'a convaincu.
L'idée que je me faisais du film à partir de la BA correspondait bien à un de mes projets : un film qui reprend les codes du slasher mais s'en sert à d'autres fins. Restait à voir si le film serait vraiment ça, mais de toute façon l'idée qui se dégageait de la BA d'un film d'auteur lent et avec des meurtres saignants me plaisait.
Et si ce n'était pas pour ça, j'y allais aussi finalement pour encourager ce type d'initiative dans le cinéma français.
A la fin de la séance, j'ai voulu résumer à mon comparse qui est venu voir cette curiosité avec moi ce que je pensais du film en un seul mot. Ce mot, c'est "trop".
Je me voyais déjà avoir adoré le film et écrire dans mon avis "j'ai lu dans plusieurs critiques la même remarque : le film est auteurisant, comme si c'était un défaut. Mais non, c'est ça qui est bon !".
Comme on me l'a justement fait remarquer après la séance, ce qu'ont peut-être voulu dire ces personnes, c'est que ça fait "réalisateur qui veut faire film d'auteur". C'est plutôt ça, mais je préciserais en disant plutôt que Laurent Achard insiste trop dans sa mise en scène pour bien signifier qu'il fait un film à part, et il grossit exagérément les traits caractéristiques du type de cinéma vers lequel il se tourne.
Quelques plans éloignés et des meurtres hors-champ pour signifier qu'on se tient à distance du tueur et de son acte violent, ok, ça marchait au début et les cris en off étaient affreux et donnait un caractère cru aux scènes, mais de ces plans il y en a trop. Trop de plans trop longs, toujours éloignés des personnages quand il y en a, et avec des meurtres toujours filmés de la même façon, à savoir hors-champ.
Surtout qu'au bout d'un moment, la longueur du plan s'applique non plus à des moments où l'on est avec le personnage, et où ça pourrait se révéler utile, mais ça se retrouve même dans des plans où l'on voit simplement l'autoroute, des voitures passer... et à force de voir trop de plans trop longs, ils perdent leur sens, pour que tout ce qu'il reste ne soit plus que cette formule de l'éloignement censé signifier le détachement, par rapport au perso, ses actes, etc.
Et, finalement, comme ça a été fait remarqué lors d'une bonne conversation post-visionnage, ces meurtres, en si grand nombre et à chaque fois représenté d'une même façon, ils n'apportent pas grand chose.
Je suis vraiment déçu car je pensais que le réalisateur se servirait de sa mise en scène, peu ordinaire par rapport au genre choisi qu'est le slasher, pour exprimer quelque chose. Eh bien, non. Et c'est dommage, car si le réalisateur s'en était servi pour dire quelque chose, ça ne m'aurait pas dérangé, toutes ces lenteurs appuyées.
Le film que je m'imaginais, c'en était un où les meurtres sont secondaires, sont éventuellement des prétextes, pour s'intéresser à autre chose à côté, le personnage par exemple, qui en dehors du fait qu'il tue, apporterait quelque chose qui ferait l'intérêt du film. Bah, non.
Le projectionniste, Sylvain, tue au début, il tue à la fin, d'ailleurs personne ne l'arrête, et tout ce que fait le témoin d'un de ses meurtres, au lieu d'appeler la police, c'est venir au cinéma le regarder d'un air méchant derrière la vitre. Et en dehors de ça, c'est une coquille vide, un type pas très bavard et antisocial ; et c'est un choix, qui ne me poserait pas problème si, encore une fois, quelque chose ressortait du film à partir de là.
Dernière séance est d'ailleurs plein d'éléments qui auraient pu servir à quelque chose, mais que le réalisateur n'utilise pas.
Au début du film, on nous annonce déjà que le cinéma ferme, et même qu'il n'y a plus que 3 jours. Ma réaction : "quoi ? Trois jours seulement ? Mince, mais qu'est-ce qu'il va faire ? Et en trois jours, il va se passer suffisamment de choses ? J'ai vu dans la BA qu'il rencontre une fille, et puis est-ce qu'il va empêcher la fermeture, en plus des meurtres ?".
Bon en fait on s'en fout, au-delà des trois jours Sylvain continue normalement, et il garde le cinéma ouvert, sans que son patron, qui a vendu le bâtiment, ne vienne vérifier quoi que ce soit.
Sylvain semble fétichiste des oreilles, car c'est la seule chose qu'il récupère sur ses victimes, puis il les colle sur des portraits d'actrices. Il y a une grande récurrence de l'oreille et des boucles (d'oreille) dans le film, il y a celles des victimes, de la mère, et ce n'est pas un hasard non plus si Manon, la nouvelle amie de Sylvain, lui donne ses boucles d'oreille, mais une fois le film fini, je me suis rendu compte que ce motif n'avait mené à rien. On ne sait pas d'où vient cette obsession pour les oreilles (de la mère ? dans ce cas-là, c'est pas assez appuyé), et encore ce n'est pas le plus important, ce qui me dérange surtout c'est que ça n'a eu aucune fonction en fait. Ou alors c'est pour dire que les oreilles c'est beau ? Peut-être que Laurent Achard aime les oreilles, je sais pas, moi je ferais peut-être un film avec pleins de gros plans d'yeux, mais en tout cas dans Dernière séance on insiste trop dessus comme sur un élément de la dramaturgie, surtout pour cette scène où Manon donne ses boucles quoi, c'est pas comme si c'était naturel.
Par ailleurs, si Laurent Achard aime les oreilles, il aurait quand même pu chercher à en avoir de plus belles dans son film, surtout vu leur place à l'écran, parce que celles que Sylvain a soi-disant découpé sur ses victimes ressemblent à celles des guignols de l'info : en plastique, trop grandes, laides.
Ou alors peut-être que Sylvain, après son sacrifice humain, pratique l'art de la tribu agrandisseuse d'oreilles, bien moins connue que celle des réducteurs de tête ?
Quand j'avais lu sur le net des gens critiquer le sang fake du film, je me suis dit "mais non", en pensant que c'était peut-être par là que passait le lien avec Argento, que le sang avait une fonction esthétique au lieu d'imiter la réalité.
En tout cas je m'étais dit que j'aurais l'esprit plus ouvert que ceux souhaitant un film d'horreur banal, et que je serais indulgent éventuellement envers ce type d'effets dans le film.
J'ai été indulgent au début. Sylvain avec son imperméable noir et sa capuche sur la tête, ça faisait cliché, mais j'ai accepté au départ. Au départ.
La scène où il passe derrière une femme, va dans une zone d'ombre, met sa capuche, puis revient, non, désolé, mais ça fait vraiment penser qu'il appuie sur interrupteur pour passer du mode "gentil" à "méchant", rien qu'en recouvrant sa tête.
D'un côté, Laurent Achard me donne l'impression de ne pas savoir quoi exprimer avec son film, et d'un autre, il est beaucoup trop expressif par rapport à ce genre de petits procédés correspondant à des codes qui permettent de reconnaître des figures du cinéma d'horreur, en appuyant dessus exagérément.
Quand on a un plan de face sur Sylvain, les yeux grand ouverts sous sa capuche, muet pendant plusieurs secondes juste après qu'on lui ait posé une question, Laurant Achard s'assurant que le spectateur a bien compris, c'est là qu'il en fait trop.
Il y a aussi une théâtralité qui ne fonctionne pas dans ce film : par exemple la mère qui brandit le couteau de façon pas du tout naturelle, de sorte qu'on le voie bien avant qu'elle ne se coupe la gorge ; ou la fille qui embrasse Sylvain, puis lui tourne le dos pour se retrouver face à la caméra et reste comme ça pendant trois plombes, à sourire, en attendant qu'il fasse quelque chose. Je vois en gros ce que le réalisateur a voulu faire, mais ça ne fonctionne pas, on est au cinéma ici, et les éléments du théâtre ne peuvent pas s'y retrouver en si grande dose, à moins que tout le film soit ainsi.
La plupart du temps c'est comme ça, il y a une idée, qui n'existe qu'à l'intérieur d'un plan ou d'une scène (contrairement à ce que je souhaitais voir ressortir du film dans son ensemble) et on appuie beaucoup trop là-dessus.
Le portrait de la mère dominatrice placé au milieu de la salle de trophées de Sylvain, on place une lampe derrière pour insister, mais comme ça ne suffit pas, on rajoute un son à mi-chemin entre respiration et bruit de machine, qui n'a aucune justification.
Dans le même genre, quand la nouvelle propriétaire pénètre dans l'antre de Sylvain, une alarme retentit, et elle ne disparaît qu'à la mort de la femme. C'est trop flagrant...
Bon, il y a aussi ce qu'on ne comprend pas, comme le fait que Sylvain s'essuie avec une serviette dans laquelle il a mis l'oreille d'une victime (wtf ?), me suis demandé si le réalisateur avait voulu placer un élément de déviance sexuelle (Sylvain semble s'essuyer un peu plus longuement sous la ceinture) mais n'avait pas trop osé.
Ce que je ne comprend pas non plus, c'est comment Manon, spectatrice normale que Sylvain a réveillé à la fin d'une séance, peut en l'espace de quelques jours aimer suffisamment ce type. Un jour elle le rencontre, le lendemain elle l'appelle déjà par son prénom et se fait raccompagner chez elle par lui, et alors qu'elle semble avoir un autre homme dans sa vie (on ne sait pas qui c'est exactement), elle ne tarde pas à embrasser le projectionniste.
On sent là l'envie de donner à Sylvain un semblant de vie romantique, et dans la BA je m'étais dit que ce serait intéressant de voir comment il réagit par rapport à ça, mais ce n'est pas exploité, et les scénaristes ne me donnent pas l'impression d'avoir même essayé pour donner un semblant de crédibilité à cette relation naissante.
A un moment, j'ai même pensé que l'intention était de faire de Sylvain un personnage anti-perso attirant, c'est à dire l'inverse des persos de charmeur habituels. Après la relation sexuelle, il y a cette action typique de l'homme qui reboutonne sa chemise ; Sylvain, lui, reboutonne son vieux pull de fils à sa maman. Je ne sais pas si le réalisateur a pensé à ça comme ça.
Enfin en général, pas de risque de ne pas comprendre, tant c'est insistant dans Dernière séance.
Tiens, à l'affiche du cinéma, il y a "Last days", got it ?
La fin est terrible, car elle regroupe à la fois ça, et la longueur inutile dont je parlais plus tôt. Ca dure, ça dure, alors qu'on se dit "c'est bon, on a déjà compris", mais voilà qu'une nouvelle couche de symbolisme pas le moins du monde subtil vient nous écraser.
Au moins il y a une bonne mise en abyme de la salle de ciné (Sylvain s'assoit dans la salle, "avec nous" si on veut), c'est long et le geste à la Psychose détruit tout. D'ailleurs, on reprochait à Dernière séance sa reprise du cliché de la mère qui a traumatisé le personnage principal... eh bien, contrairement à ce que je pensais, le film ne trouve rien de neuf pour se détacher de ce qui reste, du coup, effectivement, un cliché.
J'ai lu je ne sais plus où des personnes faire des liens entre Dernière séance et Romero ainsi qu'Argento. Le film déjà, n'est ni un slasher, ni un giallo, et je ne vois pas du tout en quoi il rappelle ces deux réalisateurs. Je pensais qu'il y aurait une petite référence, comme ça, replacée dans un autre contexte, mais non, si ça se trouve Laurent Achard n'a pas du tout été influencé par eux, et seule la presse lui a attribué ces intentions d'hommage. Enfin pour moi, ce serait plus logique, et justifierait que d'autres de mes attentes n'aient pas été satisfaites.
EDIT : Je viens de voir une interview ; du coup je suis étonné qu'Achard dise aimer les films d'horreur et de série B.
Je n'ai pas arrêté de démolir Dernière séance jusque là, mais il y a des bons trucs quand même, si si, quelques uns.
Déjà, quelques beaux plans : celui dans la pénombre après la chute du portrait de la mère, ou la boucle d'oreille au sol que rejoint une coulée de sang couleur grenadine (certes, on va pas se mentir, ce que j'ai lu est vrai, le sang ressemble à du sirop, mais je trouve ça beau). Après je ne sais plus.
Et j'ai trouvé intéressant que Sylvain se montre gentil envers une petite fille qui vient lui prendre un ticket, il lui chante même une chanson. Et dire que si elle était plus âgée, elle aurait pu faire partie de ses victimes, ça ne tient qu'à ça. Enfin ça, c'est moi qui y pense, car vu comme le film m'a paru vide de sens autrement, je ne sais pas si ça a été pensé ainsi.
La petite fille le regarde d'un air étrange qui m'a amusé, tout comme le fait qu'elle insiste pour ne pas voir un film en noir et blanc. Il y a une autre scène comme ça façon "Clerks dans un cinéma", avec une cliente fâchée de payer à cause d'une mauvaise indication des horaires, mais c'est tout.
J'aime bien la scène du karaoke, car l'implication de la femme dans le chant est touchante malgré les imperfections.
Bon voilà en fait.
Dernière séance n'est pas un "bon film", mais je ne dirais pas que c'en est un vraiment mauvais non plus. Je ne lui en veux pas, comme à d'autres où je regrette d'être allé au cinéma.
Mais je dois dire ça car j'ai une certaine affection par rapport à l'intention de départ, telle que je me l'imagine.
J'attends quand même de voir ce que Laurent Achard va faire après, juste pour savoir s'il va continuer sur la même voie.
PS :
Je vais pas souvent sur allociné, mais vu que le film français, je suis allé m'y renseigné.
On y lit ceci :
"Tourné en 21 jours, Dernière Séance pose la question complexe de la mort du cinéma à travers l'histoire de la fin d'une salle de cinéma de province et de la mort de son projectionniste."
...
Ah. Ah bon.
Si la question est complexe, le film ne doit pas bien l'aborder.