avril 2010:

Aïe! Dérapage. Un Nicholas Ray qui m'a dépassé dans un virage. Embardée. Tonneau. Je ne suis pas indemne. Ma femme aime beaucoup et s'est sûrement un peu vexée de mes fou-rires devant les ravalements de larmes dont Barbara Rush nous abreuve sur une grande partie du film.

Ce qui m'a tout de suite inquiété et qui n'a pas été démenti par la suite c'est cette propension maladive de tous les personnages à fuir la communication. S'il y a bien un truc qui m'asticote le poil c'est bien ce genre d'évitement grotesque, de réflexe auto-destructeur. Et je me faisais la réflexion sur le nombre incalculable de films, d'oeuvres en général qui se nourrissent de ce postulat. A se demander si le mensonge n'est pas une des clés de tout mélodrame d'ailleurs. Mais ici c'est surtout l'accumulation incessante de couches de non-dits ou de mensonges grossiers qui m'a fatigué rapidement. La lassitude m'a gagné si intensément que le parti d'en rire se présenta alors comme le meilleur, sinon le seul moyen d'aller au bout de ce long film.

Le mari ment à sa femme, la femme ment à son mari, ils mentent à leur enfant, qui lui même se met à mentir à son père, les toubibs sont infoutus de parler franchement de la maladie et du traitement thérapeutique. Bref, tout le monde passe son temps à éviter de dire ce qu'ils pensent. C'en est épuisant, exaspérant. Tellement... c'est si peu crédible. Certes, l'incommunicabilité existe. Peut-être même existait-elle davantage dans les couples et en général dans la société occidentale avant la libération des mœurs et des femmes en particulier, mais tout de même, ici cela prend des proportions si grossières et soulignées que je décroche et rie.

Parce qu'en plus, au lieu de se révolter face à leur situation, au lieu de prendre le taureau par les cornes, les personnages continuent de prendre la fuite et de ne surtout pas faire en sorte que leurs problèmes se résolvent. Bien au contraire, ils persistent. Le prof malade de sa cortisone au lieu de limiter sa dose, l'augmente. Sa femme, au lieu d'enfin parler à son mari, se calfeutre dans son silence. Ils attendent que cela passe. Non seulement cela ne passe pas, mais cela empire, bien évidemment. J'ai passé un bon bout de mon temps à vouloir mettre des mandales au prof, sa femme et aux médecins, tous amorphes, sans squelette, ni jus de viande autour.

La sur-dramatisation destinée à faire perler des gouttes de sel sur les joues du spectateur que la mise en scène s'ingénie à provoquer s'écarte beaucoup trop d'un réalisme que -je suppose- Ray voulait tout de même sauvegarder afin de donner un poids moral et édifiant à cette histoire. On comprend bien que par cette histoire de surdosage de la cortisone, le cinéaste voulait montrer la violence au sein de la cellule familiale, l'érosion des liens affectifs et casser l'image mythique de la famille américaine moyenne, idéale. Louable. Mais j'estime que l'on peut très bien démythifier l'american way of life sans pour autant donner au mélodrame ces allures encroûtées, sans demander à Raksin et Newman de balancer autant de violons geignards, sans demander à Barbara Rush de faire ses rictus en refoulant ses larmes, etc. Les effets de mise en scène rajoutant couche après couche tantôt de la guimauve, tantôt du pathos m'ont filé une sacrée indigestion.

Et pourtant, j'aime Nicholas Ray, j'aime beaucoup James Mason, j'aime le cinémascope mais ici le triumvirat vire au cauchemar.
Alligator
4
Écrit par

Créée

le 6 avr. 2013

Critique lue 506 fois

2 j'aime

Alligator

Écrit par

Critique lue 506 fois

2

D'autres avis sur Derrière le miroir

Derrière le miroir
SanFelice
8

God bless America

Nicholas Ray filme habituellement des personnages qui se situent aux marges de la société, volontairement ou involontairement. Pourtant, ici, c'est l'exact opposé. La famille américaine qu'il nous...

le 17 août 2012

15 j'aime

7

Derrière le miroir
SapinBleu
8

Critique de Derrière le miroir par SapinBleu

Ce qui frappe avant tout dans "Derrière Le Miroir", c'est l'élégance intemporelle de la mise en scène de Nicholas Ray. D'une beauté plastique qui frise la perfection, et qui contraste violemment avec...

le 4 nov. 2010

8 j'aime

1

Derrière le miroir
Fêtons_le_cinéma
8

Pour une révolte rétrograde

Un paradoxe sous-tend Bigger than Life et lui confère force et valeur : penser la cortisone comme le déclencheur d’une révolte – nous sommes chez Nicholas Ray, et la révolte a toujours droit de cité...

le 21 nov. 2020

7 j'aime

1

Du même critique

Cuisine et Dépendances
Alligator
9

Critique de Cuisine et Dépendances par Alligator

Pendant très longtemps, j'ai débordé d'enthousiasme pour ce film. J'ai toujours beaucoup d'estime pour lui. Mais je crois savoir ce qui m'a tellement plu jadis et qui, aujourd'hui, paraît un peu plus...

le 22 juin 2015

55 j'aime

3

The Handmaid's Tale : La Servante écarlate
Alligator
5

Critique de The Handmaid's Tale : La Servante écarlate par Alligator

Très excité par le sujet et intrigué par le succès aux Emmy Awards, j’avais hâte de découvrir cette série. Malheureusement, je suis très déçu par la mise en scène et par la scénarisation. Assez...

le 22 nov. 2017

54 j'aime

16

Holy Motors
Alligator
3

Critique de Holy Motors par Alligator

août 2012: "Holly motors fuck!", ai-je envie de dire en sortant de la salle. Curieux : quand j'en suis sorti j'ai trouvé la rue dans la pénombre, sans un seul lampadaire réconfortant, un peu comme...

le 20 avr. 2013

53 j'aime

16