Avant de découvrir l'usage qu'il pouvait tirer du feu, l'homme se brûla. Petit à petit, il apprit à jouer avec cet outil, il put s'éclairer, se chauffer, cuisiner, et enfin, se soigner. D'une menace il en fit un élément indispensable à sa survie. Comme le feu, les réseaux sociaux sont une menace, et pourtant, ils sont aussi porteurs d'espoir, de solidarité et de partage. Or, dans ce documentaire à voie (voix) unique, l'accent n'est porté que sur la brûlure sociale de ces plateformes et autres modèles de recherche accusés de tous les maux.
Des ingénieurs et penseurs ayant travaillé/réfléchi pour/sur les plus grosses compagnies I-tech confient leurs craintes, face caméra. On entendra particulièrement Tristan Harris parler, un "ancien" de chez Google, de sa vision résolument pessimiste et noire du monde actuel.
Ces outils que nous employons tous quotidiennement seraient en train de ruiner le monde, selon eux. Les jeunes filles auraient tendance à se suicider plus ces dernières années ? À cause des réseaux sociaux. Les manifestations de masse en France, à Hong-Kong, et pourtant ailleurs ces dernières années, les émeutes anti-démocratie, et d'extrémistes, causant violence et casse ? À cause des réseaux sociaux. Tout est mélangé, sans pincettes et sans aucune réflexion. Une manifestation en vaut l'autre. Le mot en devient presque égal à de l'anti-démocratie. Le simplisme du propos est aberrant et révoltant. Au-delà du contenu, on viendrait même à se demander ce qui différencie, sur la forme, la démarche de ce documentaire de fake news et autres théories du complot.
Ne vous méprenez pas, je suis tout à fait d'accord avec une partie de ce que raconte le documentaire, qui ne nous apprend pas grand chose de nouveau : nous sommes le produit. Nous sommes manipulés, dans notre réflexion sociale même, dans nos habitudes d'être. Nos datas sont contrôlés, pour nous rendre encore plus addict et ça fait peur. Je suis d'accord avec cette réflexion, je trouve juste que la manière d'aborder ce contenu est extrêmement problématique, unilatérale, biaisée, sans aucun contrepoids critique. Le documentaire nous dit que les choses sont soit blanches ou noires, un outil est soit mauvais ou bon pour l'homme, sans entre-deux. Contrairement à ce qui est montré dans le film, excepté littéralement à la dernière seconde, je suis aussi persuadé que l'éducation dans les familles et les écoles a un grand rôle à jouer sur notre façon présente et future de vivre avec la technologie, et les applications qu'on utilise.
Malgré ce que voudrait nous faire croire Netflix, le monde n'est pas semblable à cette famille fictionnelle dont le documentaire nous montre des tranches de vie pour remplir (d'une demi-heure de plus) ce film décidément bien creux. Les parents visibles à l'écran n'adoptent aucun geste constructif pour entrer en dialogue avec leurs enfants. Ils confisquent les téléphones, sans échange auparavant et s'étonnent de leurs réactions agressives. De plus, pour "démontrer" le propos, le fils de ce couple américain se verra guider par une force maléfique (= les réseaux sociaux), sans explication scénaristique réelle, pour finir par joindre une manifestation anti-démocratie (ou anti-quelque chose), parce qu'il paraîtrait que c'est vers quoi poussent nécessairement ces algorithmes.
C'est également dans cette fiction, au coeur du propos, que se révèle le pire de ce documentaire. Entre un mauvais épisode de Black Mirror et un épisode banal de 13 reasons why, ces séquences sont typiques de l'univers de la création made in Netflix. L'esthétique est résolument noire, sombre. Les personnages ne savent pas se parler, l'incommunicabilité des êtres est la clé de voûte de leur monde, et les écrans leur meilleur ami. Le monde extérieur est moche, les gens ne sont pas sympathiques et n'ont plus rien à se dire. Alors, pourquoi ne restez-vous pas sur Netflix pour profiter de votre lit douillet, sur votre ordinateur, et ne surtout entrer en relation avec personne ?
D'un cynisme incommensurable, Netflix, créateur de ce documentaire, ne sera pas cité une seule fois durant 1h30. Enclin à critiquer toutes ces applications et ces plateformes qui travaillent jour et nuit pour faire en sorte qu'on ne puisse plus s'en passer, comme les rats de Skinner, comme des drogués, les dirigeants derrière Netflix se jouent bien de tout le monde et relâchent insidieusement leur propre poudre magique. Ceux que l'on croyait capables de tout, même à détruire l'expérience cinématographique conçue par les réalisateurs/réalisatrices des films (l'utilisateur est capable de passer le générique, peut faire défiler le film à une vitesse plus grande), culminent ici à un niveau de manipulation impensée, incapables d'auto-critique.
Le monde social va (peut-être) mal, les réseaux sociaux sont une partie du problème, mais ne vous inquiétez pas, restez sur Netflix, continuez à sacrifier votre temps et toute votre attention, votre part de cerveau disponible, tout ira bien.
P.S.: le générique n'est pas fini, qu'on me propose de ne pas quitter des yeux mon écran pour regarder Chef's Table : Barbecue. Merci Netflix, mais désolé, l'algorithme ne peut pas (encore) tout contrôler, cette émission ne m'intéresse pas.