Malgré l'austérité et la rigidité de sa narration parfois un peu trop sèche, les arguments en faveur de Des filles pour l'armée ne manquent pas. Cinquième film de la carrière aride de Valerio Zurlini qui s'étala sur 20 ans et 8 longs-métrages (un ratio vraiment très faible à l'échelle du cinéma italien du milieu du XXe siècle particulièrement prolixe), il propose une plongée dans un versant de la Seconde Guerre mondiale rarement évoqué au cinéma, à savoir la guerre entre l'Italie et la Grèce — motivée essentiellement par l'orgueil de Mussolini qui voulait opérer par là même une action de séduction et de démonstration de force pour son allié allemand. On suit ainsi des troupes italiennes, au gré de leur parcours sur les terres grecques, sillonnant des territoires animés par une résistance tenace, dans une mission un peu particulière : un lieutenant d'infanterie (Tomás Milián) a reçu à contrecœur l'ordre d'escorter des prostituées jusqu'à différentes bases, à destination de différents groupes de soldats jusqu'à la frontière albanaise.
Le décor est posé très vite au départ d'Athènes : dans ce camion militaire, il y a trois hommes correspondant à trois niveaux hiérarchiques (dont un bel exemple de chemise noire), et une douzaine de femmes qui ont uniquement accepté cette tâche ingrate dans le but de survivre en temps de guerre, pour l'argent et la nourriture. Les bordels militaires ne font évidemment rêver personne. Sur ce chemin périlleux, jalonné par les assauts ennemis et les pulsions de mâles en rut, les interactions entre hommes et femmes se multiplient et déplacent tous les centres de gravité, du point de vue des sentiments, des intérêts, et des différentes formes de subordination. Peu à peu, le lieutenant développe un sentiment d'affection et une solidarité franche naît pour les filles, à mesure que son désir de les protéger des humiliations nombreuses se fait de plus en plus clair. Au milieu des relations qui se nouent et des tensions qui se dressent.
C'est un film qui arbore une relative sobriété dans son très net antifascisme, en ce milieu des années 1960 italiennes. Les crimes de l'armée sont montrés, la barbarie survient de manière épisodique, la dimension tragique autant que vaine du conflit se dévoile progressivement, et au milieu de tout ça, les corps féminins sont parqués, déplacés, et distribués exactement comme du bétail. À chaque point de dépôt, on signe le formulaire de livraison pour attester la bonne réception de la marchandise. Rien n'épargne les femmes dans Le soldatesse, ni les pulsions sexuelles, ni les relations de domination, ni les balles mortelles, amies ou ennemies. Il faut à ce titre saluer les prestations d'un trio de choix, Anna Karina / Elenitza, Marie Laforêt / Eftikia et Lea Massari / Toula, qui donnent corps à trois personnages évoluant dans un milieu alternant entre des zones de tendresse et des moments de grande cruauté. Un film qui scrute plusieurs niveaux d'absurdité, dans la guerre et dans les bordels de guerre, avec la pudeur et l'honneur clairement arborées par des femmes.
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