Xavier Beauvois, acteur français que l’on retrouve dans divers projets (aussi bien dans Arsène Lupin que dans Disco) s’était démarqué en 2005 avec son 4ème long-métrage, Le Petit Lieutenant. Une plongée dans le milieu de la police judiciaire parisienne (fiction au style documentaire), qui permit à Nathalie Baye d’obtenir son 2nd César de la meilleure actrice (après La Balance en 1983). Cinq après ce succès (n’oublions pas quatre autres nominations aux Césars), Beauvois revient sur la sellette avec Des Hommes et des Dieux, et se retrouve avec le Grand Prix du Jury au festival de Cannes 2010 et trois Césars (dont meilleur film et meilleure photographie).
Il faut dire aussi que le réalisateur s’intéresse ici à un événement tragique. Celui des moines de Tibhirine (Algérie) qui furent sauvagement assassinés (seules leurs têtes ont été retrouvées) durant la guerre civile algérienne. Je vous rassure, je ne spoile rien, l’exécution des moines n’étant pas montré à l’écran (étant donné que leur assassinat reste un mystère quand à leur véritable responsable, bien que tout porte à croire qu’il s’agit du Groupe islamique armé). Non, ce qui intéresse réellement ici Xavier Beauvois, c’est la vie de ces moines. Leurs journées, leurs prières, leur aide qu’ils apportent à la population locale, leur travail de la terre… Tout est raconté de leur quotidien pour coller au plus près de la réalité. Faisant ainsi ressurgir du scénario tout ce qui fait la puissance du récit. À savoir la tolérance (bien que catholiques, les moines se fichent de la religion, aidant du mieux qu’ils le peuvent toute personne ayant besoin de leur soutien) et le respect (les moines vont chez l’habitant prendre le thé ; les villageois aiment ces derniers…). Des atouts tout bonnement humains qui prendront de l’ampleur dès que la menace terroriste commencera à pointer le bout de son nez. À partir de là, le film ne sera que question d’amitié (qui lie les moines, qui décident de se soutenir malgré la peur qui règne), de réflexion (les moines cherchant à se mettre d’accord sur « partir pour sauver nos vies » ou « rester pour aider les villageois comme nous l’avons toujours fait ») et même de famille (certains se demandant que deviendra leur vie s’ils rentrent et retrouvent leur famille, à supposer que quelqu’un les attende au pays). Bref, Des Hommes et des Dieux ne veut pas être un film violent (bien que l’intervention des terroristes sur un chantier n’est pas un moment gai). Mais plutôt une œuvre intimiste, qui préfère coller au plus près des personnages pour que le spectateur se sente proche d’eux (niveau sentiments). Et de ce point de vue, le film réussit pleinement son but !
Mais pour permettre cela, il fallait que Des Hommes et des Dieux se montre réaliste de bout en bout (et pas que du côté du scénario). Car il est beau de filmer le quotidien de personnages, faut-il encore que l’ambiance sorte le film de son statut de… film justement ! Fort heureusement, la mise en scène fait tout pour que Des Hommes et des Dieux se rapproche plus du documentaire que de la fiction. Et pour cela, Beauvois peut compter sur la magnifique photographie de Caroline Champetier, qui nous dresse une atmosphère digne d’un monastère, isolant nos moines aux possibles quand ceux-ci ne sont pas dehors. Un monastère où les dialogues se font presque sous le ton du murmure, où le silence règne. D’ailleurs, le film ne possède quasiment pas d’envolée symphonique (à part sur la fin), la bande-originale étant principalement des chants liturgiques des moines (chantées par les acteurs eux-mêmes) et d’une musique que l’on entend par le biais d’une radio (le ballet du Lac des Cygnes). Une mise en scène donc épurée qui ne bénéficie d’aucun artifice (effets spéciaux, effets de montages, bande son tonitruante…) qui aurait sans aucun doute gâché le résultat que nous avons-là. Il faut tout de même admettre que cette ambiance hautement réaliste et posée peut rendre le film un chouïa longuet, ne se passant grand-chose à part justement le quotidien des protagonistes (leurs faits et gestes, leurs conversations…). Certaines pourront donc rebuter sur ce détail.
Et puis, n’oublions pas les acteurs ! Neufs comédiens qui se sont préparés pour leur rôle en séjournant dans une abbaye, se pliant aux règles et modes de vie des moines. Allant jusqu’à eux-mêmes chanter lors des prières. Un casting d’une égalité sans pareille, chaque acteur n’étant pas dépassé par un autre à l’écran. Ainsi, Lambert Wilson a beau être le premier sur la liste de la distribution, il ne cherche pas à surpasser Jacques Herlin ou bien encore Philippe Laudenbach. Chaque acteur a donc le privilège de d’avoir sa « place » à l’écran. Et également le prestige d’être tous talentueux ! Un fait notamment mérité par Michael Lonsdale, l’heureux gagnant du César du meilleur second rôle masculin.
Ce qui peut vraiment perturber avec Des Hommes et des Dieux, c’est son rythme trop posé pour certains. Son atmosphère silencieuse. Son réalisme pointilleux qui peut provoquer l’ennui. Il est vrai que des longueurs se font sentir durant le film. Mais cela n’enlève en rien la puissance du récit et du jeu d’acteurs de chaque comédien présent pour ce film. Xavier Beauvois confirme du coup son talent de réalisateur, faisant ainsi attendre son prochain projet.