Le bon, la brute et le boulet
Forrest B.
Ce n’est pas l’aîné mais c’est lui, le chef du clan. La légende plane au-dessus de lui. Après avoir été égorgé, il aurait marché pendant trente kilomètres pour atteindre l’hôpital, et s’en sortir. L’immortalité. Il parle peu, il pèse ses mots, il les grommelle. C’est un trafiquant, un contrebandier, un bootlegger, comme il y en a des dizaines au kilomètre carré du côté de Franklin Virginie. Mais c’est un contrebandier d’honneur – sérieux extrême, courage insensé, force, toujours prêt au sacrifice pour les siens et pour ses principes.
LE BON.
Howard B.
L’aîné. Un colosse. Sur lui aussi plane le signe de l’immortalité. Il distille en famille, du brutal. Il ne parle pas, en mode autistique ; Il distille et il consomme aussi, boit, boit et reboit, et reboit encore. Et à la fin il peut devenir très violent – en colosse et en mode Terminator.
LA BRUTE.
Jack B.
Le plus jeune – celui qui voudrait avoir l’air mais … Il se voit en hommes d’affaires, avec fric , fringues et bagnoles. Mais presque toutes ses « initiatives » tournent à la catastrophe. Il drague aussi, avec une légèreté éléphantesque, mais presque touchante. Il s’évanouit à la vue du sang. Et personne n’a vraiment confiance en lui.
LE BOULET.
Lawless conte l’histoire authentique des frères Bondurant – nom garanti d’origine cévenole, mais émigré dans l’Amérique la plus profonde. Le scénario est tiré du récit écrit par un de leurs descendants. On passera donc rapidement sur l’authenticité et la description réaliste d’un monde et d’une époque etc. C’est une hagiographie en images d’Epinal (la violence en prime …) Cela dit, on est immédiatement prévenu, tout est aussi placé sous le signe de la légende.
Un monument tout à la gloire des frères, et un récit certes très prévisible, presque stéréotypé, avec une avalanche de violence, avec nombre de péripéties convenues et même une fin très consensuelle, très morale – mais avec un rebondissement ultime, malin et plutôt subtil, qui précisément remet la légende à sa place, celle de la fiction (mais stop spoiler).
Prévisible sans doute. Mais bien fait. Indiscutablement.
On est donc dans une Amérique très profonde – boueuse, glauque, poisseuse, crade, où la civilisation n’est pas encore arrivée, où les voitures sont très brinquebalantes, où les représentants de la loi sont bien plus pourris, bien plus violents que les petits trafiquants du coin – ou alors ils ont un pied dans les deux mondes. Et le monde des affaires commence à pointer son nez. On est dans un western.
Et il ne faut pas oublier que Lawless est aussi très largement un film très australien, qui sent la terre et les premiers temps, très brut – où la finesse ne peut être perçue qu’au second ou au vingtième degré (celui de la gnôle produite par les frères).
C’est un film d’hommes évidemment. Les femmes n’y ont que très peu la parole. Mais elles n’en sont pas moins très présentes – regards, corps, force, une robe bleue ou une coiffe trop soigneusement nouée se découpant sur un fond ocre, Jessica Chastain et Mia Wasikowska magnifiées par l’image.
Avec aussi un méchant , très au-delà de la monstruosité ordinaire, interprété par un Guy Pearce méconnaissable, encravaté, « empapaouté de morgue », gominé et gommeux, parfumé comme une vieille poule de luxe, très (trop) cartoonesque aussi,
Avec une violence au-delà de la violence, primitive,
Avec, en apnée, un final saisissant, façon l’Année du dragon,
Avec une image particulièrement soignée, un très beau contraste ente le vert des extérieurs et des forêts, presque vierges, et les superbes clairs-obscurs sur les visages, le sépia, entre ocre et verdâtre des intérieurs, les tableaux de famille travaillés un peu à la façon des toiles des frères Le Nain au XVIIème siècle,
Avec une très belle BO, signée Nick Cave.
Avec une interprétation assez remarquable, dominée par un Tom Hardy, à la fois surpuissant, et nuancé, à la lenteur très maîtrisée, avec des accélérations saisissantes, précédant les retours au calme, aux grommellements et aux silences. Les autres sont à l’avenant.
Reste le cas Shia LaBeouf, aussi exaspérant que d’habitude. Oui mais – il tient précisément le rôle, clé, d’un personnage exaspérant, et cela passe tout seul, évidemment.
Si même le boulet est à son avantage …