Une oeuvre lente et sombre. Bill Plympton aurait-il des homonymes?
Pas besoin de chercher si loin, il suffit de regarder les premières images. On retrouve ici le style délicieusement artisanal et vivant du bonhomme, avec ses coups de crayons éloquents et ses hachures turbulentes comme des mômes dans une foire. On jurerait même que les couleurs sont plus belles qu'avant, à condition d'apprécier le gris.
Car oui du gris il y en a. Quand on voit le personnage principal, on comprend pourquoi : égoïste, insensible, méchant, violent, pervers, impulsif, méprisant... Le spectateur lui trouvera sans mal d'autres qualificatifs. Pour un peu on lui chercherait presque des excuses, à ce « héros », quand on voit son existence et la ville qui sert de cadre à l'histoire : une succession de lieux sans vie, uniformisés et noircis par l'inévitable fumée rejetée par des voitures semblant rouler à l'individualisme et transportant des êtres embourbés dans leur routine quotidienne. Chacun fera les parallèles qu'il voudra avec la réalité...
En plus de tout cela, notre énergumène va se retrouver affligé d'une « malédiction » qui interférera avec son train-train quotidien centré sur les verres qu'il sirote invariablement dans un bar dépeuplé, théâtre de nombre de ses exactions. En effet, il se verra doté d'une paire d'ailes blanches qui auront le vice de le forcer à faire le bien autour de lui. Le voilà victime des quolibets et de l'avidité d'autres personnages au conformisme et à l'égoïsme exacerbé. Plympton nous fait montre ici d'une remarquable misanthropie et mène par moments la vie dure à l'optimisme, au début du moins, sans ménagement aucun.
Cette absence de concession se retrouve dans les manifestations visuelles typiques du style de Plympton : du surréalisme par-ci,de l'expressionnisme par-là, des corps qui se déforment, du sang , de la violence inventive et de la poésie à tous les étages. Malgré cette tendance à l'exagération, le film ne tombe jamais dans les clichés grossiers : pas de manichéisme ici, ni de moralisme à deux francs, mais un humour noir bien senti et une entente cordiale entre l'histoire délurée et les partis-pris artistique.
Reste à parler du rythme de l'histoire, qui semble avoir dérangé certains atteints du syndrome du « y se passe rien ». Faisant la part belle à la lenteur et à la répétition, tant dans le déroulement que dans l'animation (qui renforce le style graphique), il sert avec pertinence l'action et le développement des personnages. On pourra objectivement noter des discontinuités rythmiques dans l'enchaînement des actions vers la fin du film. S'en tenir à ce diagnostic (pour un film de 1h18 en plus, franchement...) serait oublier les émotions libérées par le film et l'atmosphère dans laquelle on est plongé. On est loin de bons nombre de productions actuelles lisses et proprettes victime du « Pixar syndrom ».
Si vous êtes des ces ennuyés, je vous recommande d'aller voir le médecin de l'histoire pour un dépistage anti-insensibilité cinématographique (au cas où, en plus il est sympa et pas cher), et de voir les autres films de l'auteur pour les moins atteints (j'ose espérer qu'il y en a bon nombre).
Moins exubérant que d'autres créations de Plympton, mais assurément plus mature et en marge de sa filmographie, ce film est un argument pour ceux qui pense que la création est encore possible dans le cinéma d'animation actuel. À voir.