Des pissenlits par la racine par Alligator
On est accueilli très chaleureusement par la jolie musique de Georges Delerue, guillerette et tendre. Quand j'ai revu ce film il y a quelques jours, je n'ai pas prêté une attention particulière à sa date de sortie, ni donc à la place chronologique qu'il tient dans la filmographie de Georges Lautner. Et pendant la revoyure, j'ai eu le sentiment d'être devant une oeuvre de jeunesse, alors que Lautner a déjà sorti « les Tontons Flingueurs » et qu'il sort la même année « Les barbouzes » et « Le monocle rit jaune ». Il est donc déjà bel et bien installé dans le cinéma français. Comment se fait-il que je ressente ce film comme bancal ?
Est-ce le scénario ? En effet, le film parait se jouer en trois actes dont les tonalités et les rythmes sont pour le moins changeants. Est-ce la mise en scène qui accentue ses variations d'un espace à l'autre ? Il manque du liant à ce film, mais je ne sais pas trop pourquoi. Du mal à me décider, à y voir bien clair.
La première partie, l'exposition, nous présente la majeure partie des personnages (pas tous, Francis Blanche n'apparaissant que dans la dernière) et la construction du problème : un taulard sort de prison, joue au tiercé tout en cherchant à tuer le mec qui lui a piqué sa gonzesse et finit dans une malle de contrebasse avec un poignard dans le dos. La deuxième partie est plus fourre-tout, les personnages cherchant à se débarrasser discrètement du macchabée. Dans la troisième et ultime partie il s'agit de récupérer le ticket gagnant du tiercé que le mort avait conservé dans sa veste. Simple et compliqué à la fois. On passe d'un enjeu à l'autre avec plus ou moins de bonheur, mais c'est peut-être un sentiment tout personnel. Que retenir de ce petit Lautner ? Oh, il y a pas mal de choses qui valent de s'y essayer.
D'abord, sans contestation possible, Mireille Darc est une bombe qui vous pète à la rétine pour peu que vous soyez mâle hétéro ou femelle homo. À ce moment-là, ce n'est pas son premier rôle au cinéma. Elle a déjà quelques compositions de grand format à son actif, mais elle est encore toute jeune et elle sait parfaitement jouer la petite greluche experte pour séduire n'importe quelle zigounette. Elle maîtrise.
Dans ce casting de rêve, chez les bonhommes, on peut admirer Maurice Biraud dans un de ses meilleurs rôles, celui du marlou grande gueule, beau costard ("mate un peu le tombé du froc"). Quand le Jean Poiret n'est pas là, le Michel Serrault danse quand même pas mal. On notera la présence d'un Louis de Funès déjà grisonnant, déjà grimaçant, mais dont le numéro n'est pas assez valorisé et cela tombe un peu à l'eau. Là encore, il y a maldonne, il détonne avec le reste.
Vous avez déjà compris qu'on a là un grand cru de Michel Audiard : turf, petits voyous, personnages pontifiant et pérorant, le dialoguiste génial peut lâcher les chevaux et s'en paye une bonne tranche dans la vulgarité, dans la sentence bourgeoise ou dans l'érudition flamboyante. Irrésistible.
Et puis par bien des aspects, on reconnaît à ce film la patte de son metteur en scène, Georges Lautner, notamment dans sa recherche de variété, dans les plans, les cadrages. Beaucoup de contre-plongées, de changements de plan (gros plans ou plans américains) pour donner de la vie à son récit. Il tente des trucs souvent, on voit bien qu'il cherche l'idée originale, jolie ou parlante. Ça bouge beaucoup. Sans être un grand auteur, il arrive à donner à son film un style particulier qu'on reconnaît dans beaucoup de ses autres films, une folie sage, un désir de plaire et de surprendre à la fois. Une sorte de joie de filmer se ressent sur beaucoup de séquences. Son attirance pour la jeunesse et le monde insouciant vers lequel elle est constamment tournée ne se dément pratiquement jamais dans sa filmographie. C'est une constante Lautnerienne. Et qui peut faire comprendre à bien des égards la difficulté qu'il a eue à vieillir. Ici, c'est la façon qu'il a de filmer la surprise-partie et ses extravagances qui en est le témoin. Que ce soit dans « Les tontons flingueurs », « Ne nous fâchons pas », « Quelques messieurs trop tranquilles » ou d'autres, Georges Lautner aura, malgré ses côtés réactionnaires, toujours eu un regard attendrissant sur la volupté d'être jeune et inconscient.