3h35 dans les arcanes de Blade Runner : Dangerous Days est le complément premium du film, de ces bonus qui ont vraiment un intérêt, là où on vous sert la plupart du temps du « Oh my god he’s the most visionnary director I’ve ever seen in my entire life », etc.
Sur une trame chronologique, le documentaire nous restitue toute la genèse, plutôt laborieuse, du chef d’œuvre : les différentes versions scénaristiques, la façon dont le projet fut retiré à l’un puis donné à un autre, le design futuriste et architectural (on apprend ainsi que certains messages en japonais se cachent dans les néons, et que l’équipe du décor a pu peaufiner son travail grâce à la grève des acteurs), le casting (mention spéciale à Rugter Hauer et sa contribution légendaire à son immortelle tirade finale…) le tournage fauché, la postproduction et la réception par le public.
Ridley Scott, ayant Les Duellistes, Alien et plus de 2500 publicités à son actif, agit en véritable tyran britannique, un peu méprisant du système en équipe à l’américaine : son degré d’exigence explique le produit fini, mais peut-être aussi la mélancolie des comédiens, assez peu épanouis sur le plateau, entre l’agacement de Ford, peu habitué à une telle passivité en regard de son travail sur Star Wars et Indiana Jones, et Sean Young, inexpérimentée et terrorisée.
La partie concernant les effets spéciaux est peut-être la plus passionnante, puisqu’elle insiste sur le statut spécifique de Blade Runner, présenté comme le dernier film de SF analogique. Maquettes, surimpressions, inclinaisons des caméras, toutes ces technologies aujourd’hui dévorées par la CGI expliquent sans doute la matérialité, l’incarnation puissante du film, et le fait, paradoxalement, qu’il ne vieillisse pas…
L’autre grand intérêt est de prendre aussi la mesure des ravages du travail avec les grands studios : les exigences quant à la première version (un Deckard humain, une happy end en milieu naturel qui occasionne de piquer des rushes sur les prises de vues par hélicoptère de Shining, une voix off surexplicite) expliquent bien cette dictature du formatage hollywoodien, heureusement rattrapée par le statut progressivement culte du film qui lui permit de retrouver, grâce au Director’s cut de 1992 et au Final de 2007, sa splendeur originelle.