Parler de désir féminin en 1953, c'était un peu gonflé. Les Codes Hays interdisaient à peu près tout, alors, si l'on voulait aborder quand même les sujets qui fâchaient, et ils étaient nombreux, il fallait ruser; mais ça a rendu les réalisateurs inventifs. Là où Bunuel ne m'a pas convaincue avec ses aboiements de chien dans le lointain, Sirk l'a fait avec ses métaphores armées : des coups de fusil tirés en l'air pour sonner l'heure de la chair, un fouet, pour faire allusion à la violence des pulsions de deux personnages emportés par leurs hormones... tout ceci ne pouvait que finir dans le sang, mais la pécheresse ne s'en tire pas si mal car son mari fait l'expérience d'une étonnante maturation qui le pousse au pardon, là où d'autres films auraient laissé l'insolente anticonformiste dans le ruisseau. Car nous avons ici l'histoire d'une rédemption, et le personnage de Barbara Stanwick, séduisante ambitieuse à qui la vie s'est chargée de couper les ailes, découvre l'amour maternel quand ses filles deviennent des femmes. C'est l'admiration qui la transforme, et pas l'attendrissement devant des petits êtres innocents. En cela, elle détonne dans la galerie des mères des années 50. Mais Sirk était lui-même relativement anticonformiste. La voix grave et lente de Barbara Stanwick détonne également au milieu des crécelles de l'époque, et impose un discours d'une teneur inédite : c'est avec rudesse qu'elle s'adresse parfois à ses filles, sur un pied d'égalité, sans faire mystère de ses remords ni de ses errements. Bref, une histoire qui propose un équilibre nouveau et laisse la place à une belle évolution des personnages.
Le seul qui s'obstine se prend une balle et finit seul.