Les premières images promotionnelles du film avec une Nicole Kidman arborant un visage de junky #jeveuxmondeuxièmeoscar nous avaient quelque peu interpellées. Mais pour son cinquième long-métrage Karyn Kusama affiche rapidement ses ambitions de cinéma et pose remarquablement son décor de film noir.
On découvre le personnage d’Erin Bell, détective désabusée au visage émacié, traits creusés et teint blafard, qui déambule à bord de sa berline dans les rues de Los Angeles en quête d’une vengeance hallucinée. Quelques plans plus tard, l’ambiance fraîchement posée, les premiers mouvements de caméra bercés par la musique envoûtante de Theodore Shapiro finit de nous enivrer d’une fugace plénitude cinéphilique.
Le récit s’articule autour de deux intrigues qui s’entremêlent entre passé et présent. Un événement dans la vie d’Erin Bell vient déterrer une affaire vieille de dix-sept ans qui vit la chute de la jeune détective alors en mission d’infiltration dans un gang de braqueurs. depuis ce traumatisme, le personnage interprété par une Nicole kidman habitée, est rongé par une culpabilité auto-destructrice. Dès lors, l’enjeu pour la policière sera de tenter de réparer les erreurs du passé en poursuivant dans le présent une vengeance sans concession.
La mise en scène, très immersive, s’installe à travers le point de vue légèrement halluciné d’Erin Bell. À mesure que la traque progresse, les souvenirs de l’enquête passée nous reviennent dans de douloureuses réminiscences. La matérialisation de ces divagations se joue dans les errances en voiture. Dans le film noir et plus particulièrement le polar, ces scènes sont de véritables topos du genre. Les rondes du détective reflète alors son état mental, il sillonne les rues de la ville tout comme il déambule au sein de l’enquête. D’une manière plus générique, le mouvement (qu’il soit en voiture, en train, à cheval ou à pied) reflète l’itinéraire de l’enquêteur dans l’investigation. L’immobilité étant bien souvent synonyme d’impasse voire de mort.
La voiture devient un refuge, un lieu d’observation privilégié depuis lequel le protagoniste peut voir sans être vu. C’est aussi et surtout le prolongement du corps physique du policier. À l’intérieur de son véhicule, il voit ses capacités décuplées, sa vitesse, sa discrétion et sa force augmentent, ouvrant bien souvent sur les scènes de filatures, courses-poursuites et autres classiques. Mais dans DESTROYER les déplacements en voiture servent également à circuler entre les différents espaces cinématographiques, reliant passé et présent.
Dans son formalisme, DESTROYER est un polar classique, presque académique, il porte en lui un héritage revendiqué. De Hitchcock à Billy Wilder en passant par Robert Altman. On retrouve dans la première partie du film cette mécanique caractéristique qui voit s’enchaîner les scènes de bras de fer et d’interrogatoires. Erin Bell retrouve un vieux complice de l’homme qu’elle recherche, le cuisine, extirpe l’information convoitée et part à la recherche du suivant. Chaque nouvelle confrontation permet à l’enquêteur d’accéder à un niveau supérieur, pénétrant marche après marche le cercle de l’antagoniste principal.
L’intrigue avance et le film élargit la mythologie qu’il convoque, on pense alors à Bad Lieutenant, Serpico voire même Taxi Driver. Quant à la grande scène d’action du milieu du film, lorsqu’ Erin Bell intercepte le groupe de braqueurs en flagrant délit, elle flirte volontiers du côté de Heat de Michael Mann. On y retrouve cette même volonté de réalisme, appuyée par une mise en scène à la fois fluide, immersive et percutante.
L’une des forces du film, c’est évidemment de choisir un protagoniste féminin là où la tradition n’imposait jadis que des hommes. Par ailleurs, le film ne cherche pas à le caractériser par une représentation féminine standardisée, ce qui rend le personnage d’autant plus intéressant. Karyn Kusama et Nicole Kidman démontrent que le genre du personnage n’a plus aucune importance, les rôles sont finalement interchangeables, l’identification fonctionne. Seul l’archétype cinématographique reste.
Plus d’un an après le mouvement Mee Too, Hollywood prouve que les choses avancent avec un film qui revisite la mythologie du film noir et avec elle la figure du détective désabusé. Karyn Kusama parvient à se réapproprier les codes du genre et les réactualise pour parfaire un film bien plus féministe qu’il n’y paraît. Symbole de l’incroyable capacité du cinéma à toujours se nourrir du réel pour se réinventer.
Seule ombre au tableau, il en fallait bien une, le recours incessant à une morale rédemptrice. L’inévitable expiation censée justifier le déploiement de la violence résonne toujours de manière un peu convenue voire totalement clichée. Si la forme du film brille par son progressisme le fond est toujours pétri dans une morale chrétienne solidement ancrée dans la culture américaine.
Aurélien Milhaud
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