"Creep", "Severance", "Triangle", "Black Death", en quatre films, le britannique Christopher Smith s'est imposé comme un réalisateur-scénariste à suivre de près dans le cinéma de genre contemporain.
Avec une symbiose impressionnante entre les images, une écriture subtile et un sens du montage ravageur, le cinéaste nous a toujours livré des histoires complexes où, à une narration tortueuse, répondait systématiquement une ambiance unique pour mieux imprégner notre imaginaire de spectateur (en ce sens et en alliant à leur paroxysme toutes ces qualités, "Triangle" apparaît comme le fait d'armes le plus abouti de sa filmographie).
Première incursion américaine et sixième long-métrage du bonhomme (après une comédie de Noël, "Get Santa" !), "Detour" est une sorte de modernisation d'une certaine idée du film noir où un étudiant en droit se retrouve par un concours de circonstances à planifier le meurtre de son beau-père après une rencontre alcoolisée dans un bar avec un petit délinquant et une prostituée. Bien sûr, tout ne va pas se passer comme prévu et Smith va s'amuser par l'intermédiaire de split-screen à nous montrer toutes les alternatives d'un récit où les choix et les répercussions qu'ils vont engendrer (en mode "et si..." pour résumer) vont être le moteur de la destinée du personnage principal. Enfin, en apparence seulement, car, on le sait désormais, Christopher Smith est un petit malin quand il s'agit de jouer avec les faux-semblants...
On ne remettra pas en cause le procédé narratif en lui-même, plutôt habile au demeurant, mais on pourra se questionner de son utilisation sur un tel récit.
En fait, "Detour" s'inscrit dans ces histoires somme toute assez basiques de film noir jusqu'à en utiliser des personnages plus que stéréotypés (le voyou/bombe à retardement, la jolie prostituée soumise mais pas si naïve, etc), si bien qu'au bout d'un moment, tous les tenants et aboutissants de ces péripéties ainsi révélés par ce mécanisme "hypothétique" nous semblent déjà connus avant même qu'ils n'apparaissent dans leur totalité à l'écran.
Bien sûr, il y a quelque chose en plus (dont nous tairons la finalité) avec l'utilisation de ce procédé et un rebondissement en bout de course se révélera même des plus surprenants quant au sens à donner au chemin parcouru par le personnage principal mais ce mécanisme scénaristique ne semble être qu'un artifice pour complexifier une histoire qui n'en méritait sans doute pas tant.
On se retrouve ainsi face à une sorte de cassure de niveau entre l'histoire et le type de narration adopté à laquelle Smith ne nous avait pas habitué : par exemple, en recourant à un procédé similaire mais temporel, "Triangle" avait, lui, un récit passionnant, original et aux ramifications toujours inattendues pour permettre sa parfaite utilisation, ce à quoi "Detour" ne peut que rarement prétendre.
Néanmoins, toutes les autres qualités des précédentes oeuvres de Christopher Smith sont bien présentes dans "Detour": ambiance qui ne ressemble à aucune autre, réalisation stylisée qui ne se permet que de sublimer le réel ou encore une interprétation plus que convaincante... Mais il y a ce léger accroc, cette sorte de césure dans cette mécanique de construction scénaristique auparavant si bien huilée qui ne permet pas de donner à "Detour" un statut équivalent aux autres œuvres de Smith.
Il ne restera alors qu'un film sympathique mais qui ne sera qu'un détour américain en mode mineur de la part du cinéaste.