la figure de la mère
PILGRIMAGE (Deux Femmes) date de 1933. Le biographe de Ford, Joseph MacBride, considère ce film comme un chef d'oeuvre. Le film est tout entier construit sur la figure de la mère, thème fordien par...
le 2 août 2014
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À la sortie des années 20 et du cinéma muet, John Ford réalise un nombre impressionnant de films en ce début d’années 30. Parmi eux, Pilgrimage, un drame parlant encore largement influencé par son expérience du muet, tant dans la réalisation que dans le jeu d'acteur. Œuvre méconnue de sa prolifique filmographie, « Deux femmes » fait partie de ses quelques longs-métrages sérieux et sombres qui, comme Les Quatre Fils cinq ans plus tôt, émeuvent et marquent par leur vision grave d’une réalité désabusée, mais où les personnages parviennent toujours à atteindre une forme de grâce rédemptrice.
(spoilers)
L’histoire est empreinte de thèmes profondément fordiens, et avant tout celui de la figure maternelle, source de conflit comme d’amour inconditionnel. Ici une mère envoie son fils à la guerre afin de l’empêcher d’épouser celle qu’il aime, voyant en cette jeune fille une concurrente directe qui l’éloignerait de son fils. La guerre lui sera fatale. Les années passent, et cette mère réalise progressivement qu’elle a mal agi et a ruiné la vie de celui pour qui elle aurait tout sacrifié. Ce sera à son tour d’empêcher une autre mère de faire les mêmes erreurs, et peut-être ainsi trouver le pardon..
Encore une fois, John Ford s’appuie sur un fond historique de Première guerre mondiale pour conter l’histoire d’une petite famille de campagne. La grande histoire sert toujours la plus petite, chez le réalisateur. Les « deux femmes » du titre sont les deux femmes de la vie de ce personnage qui les aime autant toutes les deux, mais différemment, alors que sa mère haït systématique toute prétendante. Le contraste entre la vie campagnarde et urbaine est frappant, et le « pèlerinage » à Paris de la mère n’en sera que plus déroutant pour elle (allant jusqu’à prendre un simple steward pour le capitaine du bateau). Tout comme Murnau dans son City Girl deux ans plus tôt, Ford oppose ces deux mondes qui commencent à se connecter de plus en plus, l’un encore ancré dans le travail de la terre et du bétail, l’autre déjà noyé dans le jeu des bourses et de l’économie.
Alors que ces mères en deuil visitent Paris en l'honneur de leurs fils tombés au front, suivant un guide qui leur présente les lieux historiques de la ville, elles n’ont d’yeux que pour les immeubles vertigineux, les routes bétonnées, et retrouvent le sourire en s’étonnant de l’étrangeté de certains aspects de la vie citadine (comme un stand de tir de fête foraine). C’est cette naïveté, ces enfantillages de vieilles femmes pourtant si autoritaires et « vieux jeu » qui leur donnent une grande humanité, les rendant attachantes alors que leurs opinions et leur éducation souvent injustes nous les montraient détestables.
L’histoire avec un grand H n’importe plus, les faits sont figés dans le temps, leurs fils sont morts au nom de l’Histoire et rien ne les leur rendra. Pourquoi continuer à se lamenter à grand coup de discours patriotiques qui ne rappellent que des mauvais souvenirs, lors de cérémonies larmoyantes ? Pour autant, toute mère a besoin de se rappeler, en témoigne cette femme dont le corps de son fils n’a pas été retrouvé et qui n’a aucune tombe pour pleurer, aucun lieu de recueillement, comme si la vie de son enfant avait été effacée, sans preuve de sa bravoure et de son engagement pour sa patrie. Car si les morts se moquent pas mal du devoir de mémoire, c’est pour les vivants une bouée de sauvetage spirituelle apaisante. Mais d’un autre côté, elles n’ont que faire des médailles d’honneur qu’on leur remet au nom du sacrifice de leur enfant.
Ford propose une vraie réflexion sur ce devoir de mémoire qui aujourd’hui encore est brandi haut et fort par les politiciens. Tout en soulignant l’importance d’un deuil nécessaire, le réalisateur montre que ressasser l’histoire dix, quinze ans après n’a plus vraiment de sens (du moins dans la façon dont on le fait, avec une certaine hypocrisie, en faisant comme si c’était hier et que personne n’avait oublié alors que tout le monde a depuis tenté de passer à autre chose). Le film prône un devoir de mémoire sans mise en scène, sans spectacle, mais intime et pudique et donc sincère.
Au-delà de la forme irréprochable, avec ces plans superbes de la campagne fleurie et des clairs-obscurs toujours aussi somptueux, Ford parle de l’importance du mariage à cette époque et tout ce qu’il représente socialement (jusqu’à la honte d’avoir un enfant avant l’union sacrée, sous le regard juge des autres familles). L’homme part à la guerre et laisse derrière lui ceux qu’il aime mais qui, entre eux, se haïssent ; et c’est par l’absence de cet homme médiateur que la mère va prendre conscience de ses erreurs, et réaliser à quel point son fils méritait d’être heureux avec la femme qu’il aimait.
La première partie est absolument poignante, avec la relation maternelle ancrée dans cet environnement que les noirs et blancs subliment. La deuxième sert davantage la réflexion sur le devoir de mémoire et fait retomber légèrement l’émotion, prennant parfois des allures étonnantes de comédie. Pour autant, le final relie bien les deux parties à travers une morale difficile mais réaliste. Et lors de ces ultimes secondes, des frissons que l’on croyait oubliés ressurgissent.
Ainsi, ce « pilgrimage » du titre originel est synonyme de rédemption, de seconde chance pour cette mère endeuillée qui a tout raté avec son propre enfant, perdu sans pouvoir s’excuser. Henrietta Crosman est époustouflante dans ce rôle de femme détestable finalement touchante, profondément humaine et rongée par le remord, qui en guise de baroud d’honneur cherche à faire le bonheur d’un jeune couple d’amis pour symboliquement sauver la famille qu’elle a perdue par sa faute. Un beau témoignage du courage d'être mère.
Deux femmes est à l’image de la filmographie de John Ford, où l’on trouve toujours matière à sourire même dans les moments les plus difficiles, où l’on décèle les restes d’une humanité qui aime s’autodétruire dans des détails de prime abord fortuits, mais qui font le charme incontestable de cette longue et étonnante chevauchée cinématographique.
« We’re both cruel. But I guess it’s our love that makes us cruel. We cling on to our sons and we won’t let them go. We lock them up in our hearts like it was a jail. We won’t never admit it… but deep down in our hearts, we’d sooner see them dead than have some other woman get them. […] I say the war killed him… but I killed him. ».
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Créée
le 18 févr. 2018
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