Le temps passe. Chaque année le cinéma, y compris le cinéma de genre, affiche ses nouvelles tendances en suivant des critères commerciaux qui dépassent notre entendement de simple consommateur... A l'heure où certains spectateurs ont tendance à considérer tout film antérieur à 1996 comme définitivement hors d'usage, il est bon de leur prouver que dans les pages de l'Histoire du Cinéma se trouvent de petits trésors d'inventivité comme on en fait que trop peu de nos jours.

Tourné en 1964, Two Thousand Maniacs se place encore et toujours comme un de ces films cultes dont la simple évocation fait frétiller les organes génitaux de l'amoureux de la couleur rouge. Son créateur, le génial Hershell Gordon Lewis, encore une fois aidé financièrement par le producteur de nudies David F. Friedman, compte bien profiter du succès international de Blood Feast, son précédent opus, estampillé tout premier film gore de l'Histoire. Grâce à un budget plus conséquent, il décide l'année suivante de poursuivre sur cette voie sanglante qu'il a lui-même tracé, tout en utilisant les outils scénaristiques et scéniques permettant à cette nouvelle bombe larguée dans le paysage des sixties d'acquérir sa propre identité.

De ce fait il est impossible de connecter les deux oeuvres tant elles abordent ce nouveau genre avec deux tons radicalement différents. Si dans Blood Feast, l'histoire de Fuad Ramses se veut sérieuse et angoissante, celle de Two Thousand Maniacs entend créer une nouvelle forme d'humour, une adaptation contemporaine du théâtre grand-guignolesque où les spectateurs de la fin du XIXème siècle venaient se délecter avec le sourire au lèvres des plus atroces mutilations.

De jeunes couples arrivent en voiture à Pleasent Valley, petite bourgade de l'Amérique profonde. Ils sont accueillis par les habitants, des nostalgiques de l' »esprit sudiste », qui les invitent à célébrer avec eux le centenaire de leur ville.

Si le synopsis, inspiré de Brigadoon de Vincente Minelli, laisse un court moment planer le doute quand à la réelle teneur de cette fête, le dépaysement que le film opère est lui immédiat. Avant même le générique de début, Lewis ouvre sur une musique country des plus entraînantes (« Rebel Yell/The South gonna rise again » dont il est lui-même l'auteur et l'interprète) qui transporte immédiatement le spectateur dans une atmosphère certes vieillie mais attachante. Cette bande-son prendra bien vite une nouvelle ampleur quand les Maniacs révèleront leur vraie nature, puisque le réalisateur n'hésite pas à associer la folie dérangeante de ses personnages à cette même Country Music, pourtant véritable repère traditionnel sur lequel toute une génération d'américains a dansé. A noter, sur la version la plus connue du film (datée des années 80), une bonne partie de l'OST composée par Lewis est remplacée par des thèmes signés Fabio Frizzi (le compositeur attitré de Lucio Fulci) entendus notamment dans L'Au-Delà ou La Maison Près Du Cimetière. Un choix incompréhensible, tant les notes gothiques de l'italien n'ont rien en commun avec l'ambiance campagnarde du film.

Soyons tout de même honnêtes, il est indéniable que Two Thousand Maniacs a assez mal supporté le poids des années. Dire le contraire serait faire preuve de mauvaise foi, tant l'image du film nous apparaît de nos jours consternante, et tant les critères d'efficacité d'une histoire n'avaient que peu de choses en commun avec ce qui fonctionne aujourd'hui. De ce fait, l'oeuvre d'H.G.Lewis comporte en elle quelques longueurs, par exemple quand l'auteur s'attarde sur l'enfermement de ses protagonistes. Il en résulte une poignée de scènes plutôt faibles qui ralentissent maladroitement le rythme de l'ensemble, ainsi que certaines discussions sudistes totalement dispensables, qui tentent vainement de rendre l'atmosphère plus oppressante.

C'est d'ailleurs une des faiblesses du film: Lewis essaie à tous moments d'insister sur la crainte que les habitants de Pleasant Valley se doivent d'inspirer, ce qui a pour effet de réduire leur potentiel comique. Comme si le réalisateur n'assumait pas d'avoir signé dans un même mouvement une comédie et l'un des tous premiers films gore.
Car c'est surtout ce que le spectateur retiendra de Two Thousand Maniacs: une plongée dans une communauté macabre, qui se vit le sourire aux lèvres, à la différence d'un Blood Feast. Lewis réussit de manière avant-gardiste à opposer des protagonistes polis, monocordes et prévisibles (Connie Mason en tête), à une joyeuse bande de dégénérés qui accapare toute l'attention du spectateur. Les rednecks surjouent tous de manière phénoménale, le maire est insupportable, le petit Billy de la fin du film est une vraie tête à baffes, mais le tout confère au métrage un charme indéniable, et c'est avec beaucoup plus d'entrain que d'appréhension que le spectateur pénètre à Pouilleux Land!

La population de Maniacs est ainsi au centre de l'oeuvre, et a pour sainte mission de repousser les limites fraîchement définies du cinéma gore. Les effets spéciaux sanguinolents s'enchaînent, surprennent par leur réalisme, et rassasient suffisamment le spectateur d'aujourd'hui, sans cesse plus exigeant en la matière. Pour offrir à ce dernier ce qu'il est venu chercher, Lewis laisse exploser sa créativité dans la deuxième moitié de son film, en particulier lors de l'ultime journée des festivités, soumise à un programme d'activités détaillé... Celle-ci sera ainsi un prétexte à faire succéder les meurtres les plus variés et les plus spectaculaires.

Après avoir tout simplement inventé le genre, voilà qu'Hershell Gordon Lewis crée la plus imposante bande de psychopathes jamais réunie sur pellicule. Preuve étant que le bougre mérite amplement le surnom de Pape du Gore qui lui a été octroyé. Pour l'anecdote, l'auteur prévoyait même d'appeler son film « Ten Thousand Maniacs », mais n'a pas pu le faire à cause d'un manque évident de figurants. Il a donc choisi de revoir ses ambitions à la baisse, et, puisqu'il tournait à St Cloud en Floride, décida de nommer définitivement le film en fonction du nombre d'habitants de la bourgade. Cela étant dit, ne vous attendez pas à compter deux mille personnes à l'écran, puisqu'apparemment, les vieux de St Cloud n'ont pas fait le déplacement...

Au niveau du dénouement, celui-ci tranche nettement avec l'action survoltée qui le précède, et laisse un léger goût amer pour celui qui aurait préféré une fin moins linéaire. Mais être trop exigent avec ce film serait lui dénier son statut de référence du genre, une de celles qui ne cessera jamais d'influencer ses contemporains (voir le remake 2001 Maniacs signé Tim Sullivan, Dead And Breakfast de Matthew Leutwyler, ou Massacre A La Tronçonneuse de manière plus subtile).

De plus, il ne s'agit pas de seulement regarder Two Thousand Maniacs dans le but de parfaire sa culture personnelle, mais bien plus de l'aborder comme un joyau du kitsch, voire même comme la toute première comédie gore de l'Histoire du Cinéma.


(Nov.2008)

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le 3 nov. 2011

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