On est de fous, Plus on scie
Après le succès commercial de Saw, devenu l'un des films d'horreur les plus rentables de l'histoire du cinéma (1,2 million de dollars de budget pour 55 millions de recettes), il était évident de voir débouler la suite des aventures de Jigsaw, ce tueur machiavélique qui n'a jamais assassiné personne de ses propres mains. Les producteurs ne se seront pas fait attendre (moins d'une année sépare les deux opus) et annoncent dès la préproduction du film leur intention de faire preuve de la même brutalité visuelle que sur le précédent volet, mais en plus rouge...
James Wan, trop occupé par le tournage de Dead Silence, n'est plus de la partie (il ne conserve qu'un rôle de producteur exécutif), et laisse la place vacante à un enfant du clip et de la pub, Darren Lynn Bousman, dont c'est le premier véritable effort. Ce dernier, frustré jusqu'alors de ne pouvoir mettre sur pied son script nommé The Desperate et écrit il y a déjà un certain temps, profite alors de l'opportunité pour confier ce même scénario à Leigh Whannell, celui qui fut à la fois auteur et acteur dans le premier opus, pour qu'il l'adapte à la sauce Saw. De cette union nait un pitch efficace, dans la continuité de son prédécesseur sans pour autant le calquer.
L'histoire tourne autour d'Eric Matthews, un flic seul et désabusé à deux doigts d'arrêter le fameux tueur au puzzle. Alors qu'il réalise que Jigsaw l'a délibérément mené jusqu'à lui, il découvre que son fils est en ce moment même au centre d'un des pièges du psychopathe, au même titre que sept autres personnes.
On a pu dire beaucoup de bonnes choses sur Saw, et bien plus de mauvaises sur ses suites. Mais quelque soit notre avis sur la question, on ne peut nier la volonté des créateurs (en tout cas jusqu'à cet épisode), d'essayer de nouvelles choses en matière d'intrigue, quitte à modifier la structure du film précédent, quand bien même celle-ci aurait prouvé son efficacité. Au bout du compte, peu de suites de genre peuvent se targuer d'une telle prise de risque.
Certes, avec le personnage de Jigsaw, Whannell et Wan, co-auteurs du pitch original, ont trouvé la formule parfaite qui peut garantir à leurs créanciers de monter un grand nombre de séquelles sans jamais voir l'intérêt du spectateur s'estomper. L'ogre Hollywood a bien compris le potentiel ravageur des casse-têtes du premier volet, et décide d'étirer cette idée encore plus fort que l'année précédente, en cherchant la manière la plus sordide d'éliminer les différents protagonistes engagés comme chair à canon (un peu comme un banal chapitre de Vendredi 13). Sur cet aspect là, Saw II perd donc en identité, et l'on craint à certains moments de voir le film devenir un simple numéro au sein d'une franchise horrifique parmi tant d'autres.
Mais Bousman nous rassure très vite, ne serait-ce que sur la forme, puisque les fans du genre ne peuvent qu'apprécier l'inventivité dont font preuve les scénaristes en matière de ces fameux puzzles. Le film ne fait pas l'erreur d'en faire succéder un trop grand nombre au détriment de l'histoire (à l'inverse de l'opus suivant), alors que certains de ces « jeux », comme Jigsaw les appelle, viennent s'imprimer sur la rétine du spectateur pendant un long moment, notamment cette cuve remplie de seringues à l'héroïne dans laquelle il faut plonger pour récupérer une clé. Ca pique...
Néanmoins, le scénario prend parfois son ainé à contrepied, en remettant sans cesse en question l'infaillibilité de Jigsaw, à tel point que le spectateur a constamment l'impression que le meurtrier joue ici son acte final. L'effet est prenant, puisque Saw II a au moins le mérite de ne laisser aucune indication quant à l'issue du massacre, à la différence de la plupart des slashers et autres films à suites.
Bousman sait parfaitement que son oeuvre, en temps que séquelle de succès au box-office, sera attendue au tournant par les fans et la critique. La totalité du film transpire son obsession de s'approprier les atouts du premier Saw, en faisant son possible pour imposer sa propre marque de fabrique. Le défi est plutôt difficile tant l'univers visuel crée par James Wan a en un seul film acquéri toute une série de règles fondamentales auxquelles il est impossible de se soustraire.
Bousman se débrouille alors avec ce qu'il peut, reprend à son compte la mise en scène de Wan, sans jamais égaler la nervosité de l'Australien (il n' y a qu'à comparer, dans les deux films, les deux entrées de la police dans l'entrepôt de Jigsaw pour s'en rendre compte). Le réalisateur tente de s'affirmer par-ci par-là, comme dans les transitions entre les scènes, ou dans quelques inserts judicieux. Mais de manière générale, force est de constater qu'il se cantonne souvent à la facilité, préférant par exemple les champs/contre-champs statiques aux trouvailles filmiques de son prédecesseur.
C'est donc sans surprise que nous retrouvons avec Saw II la même sorte de huit-clos angoissant que pour le premier volume, là encore essentiellement tournés en intérieur. Le spectateur est, comme dans le métrage de Wan, plongé dans un univers glauque et opressant, et ne pourra en ressortir qu'à la fin du film.
Mais ce n'est pas pour autant que Saw II doit être considéré comme une vulgaire copie-conforme de son modèle. Au contraire, Bousman et Whannell parviennent à entrainer leur intrigue vers d'autres cimes que celles de l'indéniable hommage à Seven de son prédécesseur. Le duo, malgré tout difficilement capable de s'émanciper de ses influences, se permet un nouveau lot de références, avec plus ou moins de subtilité.
Ainsi, on appréciera par exemple la manière dont les captifs découvre les secrets de leur grande cage, pièce après pièce, à la manière d'un Rose Red ou de bien d'autres films de maisons hantées. Mais Saw II possède aussi un grand nombre de similitudes avec Cube de Vincenzo Natali, puisque les prisonniers ont chacun une personnalité différente, découvrent vite qu'ils ont la possibilité de s'entraider pour échapper à leur sort, mais laissent rapidement leur individualisme prendre le dessus, parfois même de façon simpliste (voir le personnage de Xavier, caricature extrême du bourrin de service). Un copié/collé tout de même assez divertissant, mais que l'on aurait souhaité moins évident.
La grande nouveauté de cet épisode est l'approche détaillée de la personnalité de Jigsaw. Depuis le dénouement incroyable de Saw premier du nom, nous connaissons l'identité du tueur au puzzle, ce qui nous permet ici un voyage interessant à l'intérieur de son âme torturée et nihiliste.
La déception est malheureusement au rendez-vous, puisque le fameux John Kramer se révèle un tantinet plus moralisateur qu'on aurait pu le penser. Certes, Tobin Bell livre une interprétation plutôt sympatoche, avec ses regards perçants et son calme à toute épreuve. Mais on regrettera que l'ombre à capuche découverte moins d'un an auparavant ne soit en fait qu'un adepte de la rédemption chrétienne, un fidèle exécuteur d'un jugement divin pourtant implicite mais bel et bien présent.
Un petit bémol qui peut aisément être surmonté, même s'il annonce la tendance vers laquelle se dirigeront les opus suivants, purs concentrés de morale putassière. Mais n'allons pas trop vite en besogne...
Autre référence incontestable de ce deuxième Saw: Le Silence Des Agneaux de Jonathan Demme. L'attitude impassible et calculatrice de Tobin Bell renvoie forcément à celle d'un Hannibal Lecter, qui, tout comme Jigsaw avec l'inspecteur Matthews, négociait avec Clarence Starling pour avoir l'opportunité de titiller sa résistance mentale.
Même si on pourra reprocher encore une fois à Bousman sa tendance à emprunter à ses aînés (Tobin Bell n'a tout de même pas le charisme d'un Anthony Hopkins), il faut reconnaître que ce genre de confrontations psychologiques n'a rien perdu de son efficacité. Dans le cas de Saw II, ce procédé permet notamment aux scénaristes de rester perpétuellement en équilibre sur la limite à ne pas franchir, celle qui signifiera que Jigsaw a commis une erreur fatale. Un faux pas attendu fébrilement par le spectateur qui, à ce stade de l'histoire, se demande naïvement comment le Cancer Killer parvient toujours à avoir une longueur d'avance sur ses poursuivants...
Ce qui nous permet d'embrayer sur le final, qui a totalement divisé les foules à la sortie du film. Un dénouement impressionnant, qui comporte toujours le désormais trop célèbre montage-récapitulatif, ainsi que son lot de surprises de taille. Comme avec les twists du monde entier, certains ont crié au petit génie, d'autres au pur nawak...
Toujours est-il qu'il faut reconnaître à Leigh Whannell et à Darren Lynn Bousman leur envie de pousser toujours plus loin la complexité de l'intrigue de la série, quitte à perdre en route une partie de leurs spectateurs.
Saw II est donc loin d'être une suite banale, et s'avère un très bel effort pour une oeuvre de commande, bien plus dense qu'un simple étalage d'atrocités tel que toute une presse de réacs cacas a voulu nous le présenter (« un Loft Story répugnant », cf. Nouvel Obs). Même si les producteurs seront dans l'avenir condamnés à nous resservir perpétuellement la même soupe, l'indigestion n'est pas encore au rendez-vous. Pour l'instant, il s'agit de déguster Saw II comme une séquelle inventive, dénuée de temps morts, et qui a de plus le mérite d'assumer pleinement son univers crade et, disons-le, unique.
(Déc. 2008)
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