Diablo
4.8
Diablo

Film de Lawrence Roeck (2016)

Le fils Eastwood se perd dans un Western fourre-tout

Quand un fils exploite la ressemblance avec le père, sans un solide scénario et une direction efficace, la copie est bien pâle...


Clint Eastwood, le père, a souvent joué sur l’ambiguïté de son personnage. Mutique à souhait, jamais en mal d'un bon mot avec un humour grinçant, il a incarné de nombreux personnages violents dont le passé lui valait une réputation des plus féroces. Impitoyable (1993) avait su tirer la quintessence de ces western qui ont forgé le mythe Eastwood, autant que la publicité très réac de la série des Inspecteur Harry (1973-1988). Des western spaghetti pour la plupart, où les plans larges, la nature immobile, les regards figés et les duels sous tension, faisaient des acteurs des pièces dérangées, voire décalées. Clint Eastwood c'était ce regard translucide, perçant, qui maitrisait l'espace et le temps, comme un juge, un dieu, jaugeant les évènements, traversant l'histoire sans qu'elle n'ait de réelle prise sur lui. C'est ce regard dépassant à peine d'un verre sur le duel Lee Van Cleef - Klaus Kinski dans Et pour quelques dollars de plus (1965), c'est celui toisant les hommes depuis la pénombre de son chapeau dans Pale Rider (1985), c'est aussi et surtout cet homme immobile dans les flammes, comme sorti des enfers, un démon vengeur, dans le final génialement baroque de L'homme des hautes plaines (1973). Clint Eastwood, le père, c'est donc ce personnage au parcours inhumain, jalonné de morts et d'horreurs, la vengeance dans la peau, et cette volonté de ne jamais reculer. Dans impitoyable ne disait il pas à une assemblée muette de stupéfaction, apeurée, levant son arme: "J’ai tué des femmes et des enfants. J’ai tué à peu près tout ce qui marche ou rampe à un moment ou à un autre. Et je suis là pour te tuer [...]".


Cette légende sombre des personnages incarné par Eastwood père semble avoir inspiré Carlos De Los Rios et Lawrence Roeck dans l'écriture de ce Diablo (2015) dont le seul objectif semble d'exploiter la ressemblance du fiston, Scott - plutôt bon acteur par ailleurs dans le Fury (2014) de David Ayer -, avec son illustre paternel. Scott Reeves au civil semble d'ailleurs, contrairement au début de sa carrière, il n'a que 29 ans, s'être raccroché au nom de Scott Eastwood qu'il avait laissé de coté. De profil, sous certains angles, la ressemblance est bluffante. De face ou en plan large, beaucoup moins. Assez musculeux, moins félin, si Scott conserve de son père quelques rictus très reconnaissables (Celui du dégoût quand on lui crache du sang au visage est assez stupéfiant), on sent le fils amené à (trop) souvent froncer du regard pour assurer le cahier des charges de la bonne copie.


Ce film, pour reprendre une expression chère à l'univers de Tarantino dont le film s'inspire ne serait ce que pour son générique de fin et l'emploi de Walton Goggins (qui a joué dans Django Unchained et les Huit salopards, la parfaite réplique contemporaine de Steve Buscemi), est donc de l'Eastwood-exploitation, un objet bien vide destiné à jouer sur les parallèles qui seront inévitablement faits. Voulant moderniser le western, on y retrouve pèle mêle les grands classiques du genre: une maison brûlant de nuit, des chevauchées, des cours d'eau sauvages, des forêts et des plaines à perte de vue, des bicoques isolées en bois et des indiens. Or il ne s'agit pas de remuer ces ingrédients pour en faire un film intéressant, voire même intelligent. Encore fusse t-il que la très belle photo de ce film, que l'on croirait tourné pour National Geographic, serve une histoire, or il n'y en a pas, ou si peu. Elle tient sur le dos d'une enveloppe. Un homme recherche sa femme kidnappée par des mexicains, et en route rencontre de nombreux obstacles dans un Ouest très sauvage.


L'ouverture du film est déroutante. Sans présenter un seul instant les protagonistes on découvre la scène du kidnapping qui sert de point de départ au voyage du héros. On comprend vers la fin qu'en débutant avant cette scène, une partie de l'intrigue n'aurait pas manqué d'être dévoilée. Soit, mais on peut utiliser la caméra pour approcher la scène, la faire se découvrir petit à petit et non lancer le spectateur d'emblée dans un concert de cris et de flammes. La présence des indiens n'est pas moins farfelue. Adam Beach que l'on a connu très touchant dans Windtalkers (2002) de John Woo fait l'indien, ce qu'il est d'autant plus que c'est un activiste connu de la cause amérindienne. Sa seule présence aurait du permettre un temps d'introspection, un temps de pause, hors du temps, un moment idéal pour tracer les contours du personnage central du film, Scott Eastwood. Au lieu de cela, rien sinon une scène assez ridicule de transe provoquée par on-ne-sait-quelle-drogue censée faire ressortir le fond de l'âme de celui qui en consomme et en auscultant le blanc des yeux d'un Scott Eastwood commençant tout juste à faire ce pourquoi il est censé performer, à savoir être un acteur, l'indien, définitif, assène un..." il doit s'en aller". Ce fut court et si peu intense cet épisode gratuit dans un village indien où se battent en duel deux tipis, trois adultes et un gamin.


Tout est ainsi dans ce film, écourté, creux, sans saveur, une musique trop absente, un héros trop bavard quand il doit faire preuve de charisme, trop mutique quand on attend de lui des informations, bref un métrage hautement frustrant. Le twist, la scène où se dévoile le mystère, fait son petit effet mais il en devient éculé. Arrivé au générique de fin on repense à ce que l'on a vu et on comprend non pas que tout était dit depuis le début, mais que tout a été placé pour nous le faire dire. Il n'y a rien de fluide, ni de naturel, les dialogues sont plats, le script est brouillon, on en arrive à ne plus rien comprendre au bout de 40min. Le héros se fait tirer dessus, par un indien, on le tue à moitié, là ce sont des blancs, il est sauvé par le même indien, les indiens discutent, fument, puis le renvoient le héros fume, il transporte des colts navy mais ne se sert que de son fusil, marche dans un mètre de neige fraîche et le lendemain galope dans une plaine immaculée . Or quand 10 min plus tard la révélation aidant on saisit ce qui vient de se dérouler on se dit "quel bordel". Dès lors le film bascule dans une autre dimension.


Non content de faire un western Diablo comme son nom aurait du nous l'indiquer lorgne du coté du film d'horreur et n'y parvient jamais. Kinski dans le Grand Silence (La scène du bar où Klaus Kinski, sadique, assis jouant aux cartes tient ouvertement tête à un Jean-Louis Trintignant muet venu le provoquer est exceptionnelle, nous sommes alors en 1968) a plus d'épaisseur en 5 minutes de présence à l'écran que Scott Eastwood qui grimace à qui mieux mieux devenant la caricature que son père auto-parodiait dans Gran Torino (2009) à grands coups de crachats. De trop tordu le script devient trop simpliste et le climax final rassemblant l'essentiel des protagonistes, aurait du ouvrir un bal sanglant. où la caméra de Lawrence Roeck aurait pu faire merveille.


Là encore une immense déception et un gunfight aux allures de pétard mouillé. Tout en voulant rendre l'action sèche, désincarné, s'inspirant ouvertement de l'évolution des Gunfights traduit admirablement par l'Open Range (2002) de Kevin Costner tant par la lenteur des gestes que par l'absence de musique, le caractère réaliste des tirs, le réalisateur en fait là encore trop ou pas assez. Trop en faisant de son héros un tireur si impitoyable qu'il ne peut se dégager aucun suspens, aucune tension, pas assez car du son aux cascades, en passant par le script de la scène, il n'y aucune inventivité, aucune prise de risque, un tir au pigeon des plus ennuyeux.


Un film mal fichu, lent, creux, qui vient exploiter honteusement le filon de la ressemblance de son acteur principal avec son père sans se donner la peine de proposer mieux qu'une très belle photo de l'Ouest en hiver (en fait le Canada, province de l'Alberta), saccageant les quelques éléments intéressants (le marchand chinois, les indiens, l'origine mexicaine des ravisseurs, Dany Glover en vétéran noir de l'armée racontant de sombres desseins du général nordiste Sherman, tous les spectateurs du monde ne sont pas des connaisseurs en histoire et n'ont pas les éléments pour saisir les sous-entendus concernant les crimes sur les civils de la Hard War (Guerre Totale) de ce Général désormais décrié par l'historiographie moderne) en les introduisant de force dans un récit sans aucune espèce de tension. Le Western Spaghetti était une forme d'exploitation du genre mais avait su proposer une patine particulière et quelques pépites, assurément ce Western semi-horrifique-thriller-psychologique est un pot pourri raté.


Et dire que Scott Eastwood recevrait jusqu'à 50 scripts de western par mois et qu'il n'a choisit que celui là, précisément, pour se lancer dans le grand bain. Cela fait mal ! Certains feront remarquer qu'il ne s'agit que du deuxième film de Lawrence Roeck qui ne bénéficie pas d'un budget conséquent (quoique ce Diablo est de bien meilleure facture que n'importe quelle production Netflix actuelle) . A ce petit jeu, au réalisateur de ne pas accepter de faire tourner des acteurs à cachets conséquents, des acteurs plus confidentiels peuvent être très bons et ne vampiriseront pas la pellicule au détriment de Scott Eastwood qui reste un jeune premier. Ne faut il pas avant tout un bon script pour mettre en valeur son histoire, son produit et donc ses acteurs !


4/10, pour l'excellente photo du film, Walter Goggins, Dany Glover et José Zuniga qui jouent très bien leur rôle en dépit d'un scénario bien trop prétentieux par rapport aux moyens déployés.

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le 16 janv. 2016

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