La contrainte est source de créativité. Comme le fit Georges Pérec avec La Disparition, roman écrit sans utiliser la lettre "e", ces trois réalisateurs d'origine tchèque, slovaque et polonaise ont eu cette idée stimulante : partir d'un dialogue commun, et chacun réaliser un petit film sans savoir ce que font les autres. Les dialogues, souvent délicieusement absurdes, devaient être respectés au mot près. Par ailleurs, les acteurs parlaient des langues différentes, et ont été doublés ensuite en tchèque ! Le premier film concerne un héros de 20 ans, le deuxième de 40 ans, le troisième de 60 ans. Ce qu'explicite le titre, à peu près le moins commercial qu'on puisse imaginer !
La première partie est la plus savoureuse : normal, elle est signée Skolimowski, le Polonais. Il a choisi deux acteurs qu'on retrouvera plus tard dans sa filmographie, Jean-Pierre Léaud (en 67 dans Le Départ) et Joanna Szbzerbic (en 66 dans La Barrière). Tout y est surprenant : les mouvements de caméra (lors du concert de rock), le décor (cet appartement improbable, avec un poupon crucifié en Jésus, des trous dans le mur, un poêle qui fume), les réactions des personnages (Léaud qui fouille dans un amas de bouteilles au sol, qui emplit le poêle à charbon avec un violon, qui se retrouve le visage couvert de suie, qui tire sur une ampoule avec un fusil)... on retrouvera cette exubérance, cette fraicheur revigorante dans Le Départ quelques années plus tard. Le thème est aussi en partie le même : la confrontation de la jeunesse au monde des adultes, source de désillusion.
Dans les deux films suivants, on s'amuse à entendre les mêmes dialogues dans des situations différentes, parfois distribuées autrement : ce qui était une réponse peut devenir une parole ajoutée par le même personnage. La partie "40", assurée par Peter Solan, n'est pas si éloignée de l'univers de Skolimowski, avec pas mal de choses surprenantes (les lapins, le décor de l'appartement). Avec la partie "60", j'ai un peu décroché, le film se faisant plus terne. Mais n'est-ce pas ce que voulait raconter ce triptyque ? Une vigueur, une excentricité, qui peu à peu s'étiole avec les années ?...
Un très joli projet donc, qui ravira les amateurs de surprises. J'ai parfois pensé à Faces, de Cassavetes. Ceux pour qui l'histoire racontée est le plaisir principal au cinéma passeront prudemment leur chemin.
7,5