Primé à la Mostra de Venise l’année dernière (Prix Spécial du Jury), le nouveau long-métrage de Philip Gröning (« Le grand silence ») nous offre une plongée dans les sentiments contradictoires d’un jeune couple avec enfant. Le père travaille comme policier dans une petite ville en Allemagne. La mère, femme au foyer, consacre l’essentiel de son temps à l’éducation de sa fille. Ils semblent mener l’existence d’une famille ordinaire bien rangée. Mais la violence du père émerge et la femme sombre peu à peu, même si elle fait tout pour sauver l’âme de son enfant.

Disons-le d’emblée, « Die frau des polizisten » fait partie des films qui appartiennent à la veine du cinéma réaliste âpre et désenchanté. Et comme bien souvent dans ce registre, il est de ces films qui doivent se mériter. Autrement dit, il se compte parmi les films qui en font fuir plus d’un dans les salles de cinéma.

Pour disséquer la complexité des sentiments d’une famille, Gröning prend son temps - car chaque détail a toute son importance - et ose la longueur en nous imposant un long-métrage de près de 3 heures découpé en une soixantaine de chapitres. Ces scènes fragmentées ont très vite le don de nous irriter car elles débutent systématiquement sur un fond noir avec l’annonce « début du chapitre x » et finissent par une autre indiquant la fin du chapitre ainsi que son numéro. Ce découpage avec un point d’entrée et de sortie a certes le mérite d’offrir au spectateur un regard distant et de ne pas le prendre en otage. Mais cette structure du récit, avec ses airs lancinants, plombe inexorablement le film qui ne traite déjà pas au départ d’un sujet des plus légers.

De même, le cinéaste allemand injecte dans son scénario beaucoup de digressions naturalistes, avec des plans fixes d’animaux et de paysages, qui n’apportent pas véritablement de contrepoint aux vicissitudes familiales mais livrent plutôt des baisses de rythmes somnolentes. Des scènes de chant viennent également ponctuer le récit pour rappeler la transmission à l’enfant et le transfert d’amour. Dans les intentions du réalisateur, ce sont également de véritables moments de pause qui permettent de respirer quand l’émotion devient trop forte. Mais force est de constater que, tournées en face-caméra, elles frisent souvent le ridicule et se complaisent dans le pathétique.

Il n’empêche que Philip Gröning est un esthète qui déploie sa maîtrise de la caméra et produit de beaux plans. Certains passages artistiques, notamment les scènes dans le bain, nous entrainent habilement dans un lacis de sensations et de sentiments. Sa caméra privilégie également la force du non-dit, de l’innommable. Les ecchymoses de la jeune femme sont pratiquement les seuls stigmates, visibles à l’écran, de la violence du mari. Le corps de la victime est régulièrement sondé pour en faire surgir une douleur sourde. Avec tact, patience et précision, le cinéaste nous démontre que, dans la violence conjugale, le changement est parfois insidieux et lent à se développer. Il s’est inspiré de nombreux témoignages de femmes battues pour construire son histoire sur l’amour et ses névroses.
« Die Frau des polizisten » conjugue donc réalisme social et finesse psychologique avec un sens de l’esthétisme souvent remarquable mais par son découpage crispant et ses scènes inégales, le film nous laisse surtout une empreinte amère à la sortie de salle.

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le 27 oct. 2014

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