Le propos du très beau documentaire réalisé par Jean-Paul Julliand, "Dis Maîtresse", n'est pas avant-tout cinématographique, il est de contribuer à alimenter la réflexion autour de la question de la scolarisation des enfants de moins de trois ans. Question qui regarde le politique, mais aussi tout citoyen, en tant que parent, adulte, enseignant, mais aussi, plus simplement, en tant qu'ancien enfant, ancien élève.
L'implication du réalisateur, lui-même ancien enseignant, est des plus personnelles, et la situation est clairement exposée dès le début, par lui-même, en voix off : pour accompagner et nourrir le questionnement, c'est sa propre fille, Géraldine, enseignante dans l'une de ces primes sections de maternelle, qu'il va filmer. On mesure la gageure dès l'annonce de l'implantation de cette école : Vénissieux, l'une des banlieues difficiles de Lyon, d'où sont parties, déjà, plusieurs émeutes. On mesure la gageure, mais aussi l'enjeu.
Du premier au dernier jour de toute une année scolaire, la caméra va se faire le témoin des différents moments, anodins ou miraculeux, qui marquent habituellement la vie d'une classe dans le secret de ses murs. Une année dont Géraldine a choisi d'organiser la progression autour de couleurs successives qui dictent thèmes et activités. En l'absence de tout programme officiel, la première couleur choisie, le rouge, va ainsi décider d'une visite dans une caserne de pompiers, mais aussi d'aliments ou de boissons dégustés ensemble, de la couleur des dessins, d'une journée aux habits rouges... Approche débordante d'intelligence, nouant savamment le sensible à l'intellectuel, sachant éveiller l'un par l'autre, tout en traitant, au passage, bien plus dignement et esthétiquement le domaine artistique que ce dont on peut parfois juger d'après ce qui s'affiche dans les classes.
On s'en doute, les enfants ne peuvent que se laisser bien volontiers happer par cette démarche qui leur ouvre tant de voies d'accès différentes. Et l'on voit ainsi la petite troupe informe et hurlante des pleurs du premier jour devenir de plus en plus souriante, apaisée, organisée et prompte à répondre aux consignes qui lui sont adressées. Ce dialogue de mieux en mieux noué avec la maîtresse donne lieu à de savoureuses scènes, parfois même dotées d'une certaine audace pédagogique : écoutant, dansant et mimant la comptine "Promenons-nous dans les bois", les enfants, à plat ventre sur le sol, entourent la maîtresse et font mine de la déguster, adoptant le rôle du loup lorsque celui-ci déclare : "Je vais te manger!". Transcription laïque, imaginative, enfantine et joueuse d'un certain : "Ceci est mon corps"... Comment s'étonner, ensuite, que les petits élèves dévorent, engouffrent tout ce que Géraldine peut leur apporter, à commencer par la langue française, que nombre d'entre eux ne pratiquaient pas avant de mettre les pieds dans ce lieu de transmission ?
On se retrouve, lors du spectacle de fin d'année, aussi émerveillés que les parents devant les progrès de leurs petits, aussi émus qu'eux devant les transformations produites par l'école, qui a ici joué à plein son rôle d'intégration, et sans doute pas uniquement auprès des enfants...
Et l'on sait gré à l'unique papa qui n'ait pas quitté la salle de classe de nous avoir ainsi fait partager l'engagement de sa fille. Car on sait que l'avenir du pays dépend des petits citoyens que l'Education Nationale lui aura concoctés. Et les motifs d'espoir ne sont pas si fréquents, de nos jours.