Il y a des films qu'on voudrait aimer

Attention spoiler

Premier long-métrage de Giacomo Abbruzzese, Disco Boy raconte l'histoire d'Aleksei, un jeune homme biélorusse qui intègre la légion pour être envoyé dans le delta du Nigéria combattre un groupuscule local. Son destin croise celui du chef local, un jeune homme luttant contre l'impérialisme occidental au Nigéria. Lorsque Aleksei le tue, sa possession commence.

Le film aborde des thèmes multiples qui s'entrechassent : critique au vitriol du patriotisme et de l'armée, critique de l'impérialisme occidental. Mais le thème central du film est surtout le trouble de stress post-traumatique dont souffre Aleksei. Cependant, le film possède également une forte dimension fantastique / mystique puisqu'il est largement sous-entendu qu'Aleksei est possédé par l'homme qu'il a tué.

Menu plutôt alléchant. Et pourtant, je trouve le film raté.

Commençons par les points positifs : y a pas mal d'idées notamment sur la mise en scène qui est somptueuse, en particulier la lumière. Je trouve aussi que le film s'en sort pas trop mal niveau "sociologique" sur le personnage principal. Ca vaut ce que ça vaut (de la socio de comptoir) mais j'ai fréquenté pas mal de gens en Europe de l'Est qui ressemblaient pas mal au personnage principal, beaucoup de francophiles par exemple l'étaient devenu par les films et la chanson française du XXe siècle. Je me souviens avoir aussi vu pas mal de témoignages de légionnaires est-européens qui disaient avoir traversé la Vistule à la nage ce qui fait écho au début du film. Donc je serais pas étonné qu'il y ait quand même pas mal de travail sur le parcours de ces légionnaires. Après, je vais quand même modérer : le personnage d'Aleksei est assez caricatural malgré tout.

Le négatif maintenant : beaucoup à dire, mais je m'attarde sur les personnages.

Ils sont tous fades, en particulier le personnage éponyme (qui n'est pas Aleksei) dont on ne sait pratiquement rien finalement. Malgré la beauté de la mise en scène, impossible de ressentir quoique ce soit à sa mort, d'ailleurs je dois dire que j'ai vraiment pas ressenti grand chose tout au long du film et c'est pas faute d'empathie. Franchement j'ai l'impression qu'on a au plus 1 ou 2 éléments pour caractériser chaque personnages et que c'est toujours assez "grossier"

- Le biélorusse buveur de vodka qui écoute de la hardbass, occasionnellement violent, taciturne et écorché vif. Qui finit d'ailleurs par sympathiser avec un mafieux russe à la fin.

- L'italien hableur, dragueur. Et c'est un peu tout d'ailleurs.

- Le rebelle terroriste qui est gentil et veut juste sauver sa famille des méchants impérialistes.

- La France (oui, c'est un personnage même si c'est jamais dit) qui est violente et impérialiste

En fait, les caractérisation sont des clichés, ni plus ni moins. Et en plus, les personnages me semblent froids, fades comme si toutes les couleurs étaient parties dans la mise en scène.

Je suis d'accord avec le caractère impérialiste de la France par exemple, mais là c'est vraiment les gentils contre les méchants, un peu dommage quand on sait comment se financent une bonne partie de ces pirates dans le réel (via divers trafics) donc ça me semble facile.

Du coup bah même si la mise en scène est sympa, comme c'est difficile de s'attacher aux personnages, je trouve que toutes les scènes tombent à plat ou presque.

Cependant j'en vois esquisser un demi-sourire pour estimer que dans le fond, je critique le film parce que je ne suis pas d'accord avec son message politique. Je répondrais que non seulement c'est faux, mais que j'ai un excellent contre-argument : c'est la comparaison avec Nocturama de Bertrand Bonello, un film que j'ai adoré.

Dans Nocturama, la mise en scène est sublime aussi. Dans Nocturama, les personnages sont tous très faiblement caractérisés aussi. Dans Nocturama, la France est aussi peinte au vitriol. Dans Nocturama, la police est également peinte à charge.

Je pense personnellement que Abbruzesse s'est inspiré de Bonello : l'arrivée d'Aleksei à Paris, les scènes de "transe" par la danse, la police / armée qui sont souvent complètement masqués et sont quasiment réduit à leur fonction de violence légitime...

Et pourtant y a un film que j'ai adoré, et un autre que j'ai pas aimé.

Pour moi, ça s'explique par deux choses : on s'attache davantage aux personnages de Nocturama parce qu'ils ne sont pas vides d'affects : c'est un groupe de nihilistes confus et de personnages plus politisés. Les personnages semblent "moyens", et c'est pour ça que la violence de leurs actions choque davantage. De plus, les personnages existent individuellement mais surtout au sein de leur groupe, et donc on s'attache surtout au collectif. Ce n'est pas le cas dans le film d'Abbruzzese où on a l'impression de suivre des personnages qui n'ont aucun véritable rapport entre eux (pas montré à l'écran en tout cas) et du coup ce défaut est bien plus visible.

Je trouve aussi que Nocturama a un bien meilleur rythme (celui de Disco Boy est vraiment raté) et surtout, qu'il est moins "insistant".

Ca aurait été à mon sens plus intéressant de montrer les légionnaires évoluer entre eux que de faire un pataquès type "regardez à quel point l'armée c'est inhumain". Au bout d'un moment, c'est lourdingue et ça n'apporte plus rien de nouveau. J'ai l'impression que tout le film est comme ça et que les idées "intéressantes" (en tout cas originales comme la possession) sont traitées de manières très nébuleuse ou annexe. Et de l'autre côté, on met une emphase immense sur les banalités. Ce qui rend le film assez agaçant par moment.

Le plan qui illustre pour moi tout le ratage du film, c'est une des scènes de fins où Aleksei met le feu à son casier de légionnaire. A côté du casier (même plan), un mur qui porte le motto de la légion : la devise devient peu à peu illisible, dévorée par la fumée.

Ca aurait pu être un plan fort (même si assez topique je trouve) mais TOUT LE FILM on nous bassine avec "la légion représente la force, la légion représente la vérité, la légion représente la lumière" et la scène juste avant, le commandant force les légionnaires à chanter "Je ne regrette rien" d'Edith Piaf et le punit quand il refuse. Du coup bah cette scène qui est censée être marquante, bah t'en as absolument plus rien à faire car c'est une enième redite.

Vous savez le plus frustrant ? C'est que je ne sais pas pourquoi il a autant foiré ça. L'arrivée d'Aleksei à Paris est superbement filmée, les monuments semblent agressifs, la bande son est psychédélique, on comprend toute l'arrogance de la France et on ressent la violence de son arrivée juste parce que les plans sont bien filmés et que la musique fonctionne, d'ailleurs ça rappelle un des premiers plans de Nocturama. Abbruzzese sait être subtil quand il le faut.

J'explique pas vraiment pourquoi il s'est foiré ensuite.

Nocturama sans la subtilité, c'est ça Disco Boy.

Quelle déception.

Bassorah
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le 26 mai 2023

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