En 2009 sortait District 9, un film de science-fiction atypique où se mêlaient tableau de l’Apartheid et critique acerbe des multinationales sur fond d’occupation extraterrestre. Dix ans plus tard, le film de Neill Blomkamp n’a pas pris une ride et semble même plus que jamais d’actualité.
Un réquisitoire contre l’Apartheid
D'abord, District 9 est une véritable dénonciation de ce que furent les années d'Apartheid en Afrique du Sud. Sous couvert de faire un film de science-fiction, Neill Blomkamp n'a de cesse de parler des années noires (blanches en l’occurrence) de la ségrégation évoquées directement par des lieux symboliques : Johannesburg, la capitale économique et surtout l'ancien township de Sowetto en partie reconstitué pour le tournage. L'appellation District 9 fait pour sa part référence au District 6, évacué en 1966 à des fins de nettoyage ethnique. La réutilisation dans le scénario d'images d'archives montrant les grandes manifestations anti-Apartheid sert également de piqûre de rappel. Parallèlement, Blomkamp en profite pour délivrer quelques uppercuts politiques vers d'autres cibles. Ainsi du chef de la mafia qui sévit dans le camp et auquel le réalisateur attribue le nom de l'ex-dictateur nigérian Obasanjo. Rapprochement qui vaudra d'ailleurs au film d'être censuré au Nigeria. District 9, est avant tout un film engagé.
Une thématique toujours d’actualité
Mais s’il fait le bilan d’une histoire sud africaine peu reluisante, le film de Neill Blomkamp n’en est pas moins d’une étonnante modernité. Métaphoriquement, le film met en scène la question des flux migratoires. Le terme de « crevettes » qui désigne péjorativement les aliens, fait d’ailleurs écho aux « crevettes de Parktown », les criquets royaux aux invasions redoutées par les Sud Africains. Ainsi Blomkamp parle-t-il d’un Apartheid révolu mais également de la crainte de l’étranger toujours à l’œuvre en 2005 lorsqu’il réalise son film. En effet, les arrivées en Afrique du Sud de travailleurs venus des pays limitrophes, Nigeria, Congo notamment n’ont cessé d’alimenter les tensions dites « raciales » depuis la fin de l’Apartheid. Des flambées de xénophobie à l’image des réactions de rejet que nous observons aujourd’hui en Europe face à l’afflux de réfugiés.
Une réflexion sur l’image
Sur la forme enfin, le film de Neill Blomkamp utilise une palette d’images particulièrement diversifiée qui reprend le principe du found footage. Alors que la deuxième partie du film rappelle le rythme et l’imagerie des jeux vidéo, la première partie est un kaléidoscope d’images marquées du sceau de la réalité. Reportages journalistiques, fausses interviews, caméras de surveillance, images d’archives réelles ou non…confèrent à cette histoire pourtant improbable un réalisme intéressant. District 9 interroge ainsi l’omniprésence des images dans nos sociétés et par extension l’effacement des frontières entre fiction et réel. Phénomène confirmé depuis par le succès de la téléréalité et de You Tube.
Une fable humaniste
Mais la trouvaille géniale de District 9, c’est avant tout le personnage de Wikus Van de Merwe. Impayable en pantin décérébré de la machine étatique, il met à exécution la déportation des aliens avec sourire et décontraction. Personnage à la limite du burlesque avec son look ringard, sa naïveté confondante et son air de premier de la classe, il incarne le cynisme des autorités que Blomkamp dénonce entre les lignes avec un humour décapant. Comme ce trafic de boites de nourriture pour chat dont raffolent les « crevettes » et qui s’échangent à prix d’or. Ce n’est qu’à la faveur d’une transfiguration, dans tous les sens du terme, que l’anti-héros Wikus accède à une prise de conscience paradoxale : c'est en devenant l’autre (l’alien, au sens étymologique du terme) qu’il redeviendra humain. Une parabole à méditer.
Aux dernières nouvelles Neill Blomkamp travaillerait à District 10. Croisons juste les mandibules pour que ce ne soit pas une fake news.
Personnages/interprétation : 8/10
Scénario/histoire : 6/10
Réalisation/musique/photo : 8/10
7.5/10
++
Critique originale publiée sur Lemagduciné (mars 2019)