Banlieue-land
Le cinéma français contemporain, d’Audiard (Dheepan) à Sciamma (Bandes de Filles), tente de construire un regard sur la banlieue. Il cherche à s’accaparer cet univers qui, pour beaucoup, à commencer...
Par
le 30 août 2016
72 j'aime
7
Divines s'inscrit dans une certaine tradition du cinéma français, dont on peut estimer grossièrement le commencement avec La Haine, de Matthieu Kassovitz ; la tendance du « film de banlieue », de plus en plus fréquente dans les salles françaises. Le précurseur cité précédemment a pu dresser un imaginaire, une ligne à suivre mais de nombreux films ont démontré la richesse du sujet quand d'autres se sont complu dans un manichéisme certain. Divines fait à première vue partie de la première catégorie.
A l'image de ces autres films auxquels on peut apparenter Divines, ce premier long-métrage de Houda Benyamina part d'un enfermement des personnages principaux ; ici, dans leur quotidien, leur situation et de fait leur quartier. Il est d'ailleurs figuré à l'écran par le fait que le film soit majoritairement tourné en décor intérieur ou par l'utilisation de plans resserrés sur les personnages centraux du récit. Celui-ci est conscient et très vite, Dounia, la personnage principale, supplée de Maïmouna, sa meilleure amie, va afficher une violente velléité de liberté. Le film va d'ailleurs nous présenter de nombreuses scènes qui témoignent de ce fort besoin de changement, certaines jonglant entre les genres avec plus ou moins de réussite. Ces différentes tentatives vont occasionner l'une des plus belles scènes du film, par l'insertion du fantastique dans une journée comme les autres pour nos deux personnages et par l'utilisation d'un ample travelling arrière, quand le reste du film se caractérise souvent par une fixité inhérente au lieu du récit. Celle-ci met en scène Dounia imaginant posséder beaucoup d'argent et une Ferrari où elle invite Maïmouna à monter et dès lors, la caméra se déplace, non plus en fonction de la situation initiale, mais en fonction de la situation imaginaire. On est face à une très belle mise en image de ce désir de liberté. Au sein même du récit, toutes les actions des deux amies vont dans ce sens : on s'évade imaginairement ou on tente de s'évader par la romance, la drogue, la mise en scène de sa propre vie, la vente de drogues et enfin le désir d'encore plus. Ainsi, l'enfermement pousse les personnages à désirer un changement dans leur quotidien mais celui-ci suggère une porte de sortie unique pour les deux adolescentes ; l'argent, impliquant de travailler pour la dealeuse de la cité, Rebecca, qui, dans un lieu refermé sur lui-même, en impose par son charisme et sa réussite apparente. Dès lors, Divines s'inscrit dans un pendant tragique et témoin d'une forte volonté dénonciatrice.
La réalisatrice, qui signe le scénario avec deux comparses, prend le parti de laisser croire le spectateur à une trajectoire heureuse pour Dounia, mais les apparences se révèlent bien vite trompeuses. En effet, une séquence, entièrement musicale, met en parallèle le Requiem de Mozart avec un montage elliptique de la montée en puissance de Dounia aux côtés de Rebecca, ce qui signifie clairement le côté funeste de cette apparente réussite. Un pessimisme voire un fatalisme certain est présent très tôt dans l'esprit du spectateur et il est notamment figuré par l'utilisation fréquente voire abusive de musiques classiques agrémentées de chœurs. Les conséquences sont immédiates, partout et palpables dans le récit telles qu'une désolidarisation familiale au sein d'un cercle déjà très défavorisé ainsi qu'une mise en danger de sa personne de la part de Dounia. Brûlant les étapes et reflétant une soif inextinguible d'argent synonyme à ses yeux de liberté, Dounia évoque par sa destinée un personnage tragique et une métaphore évidente ; celle d'Icare volant trop près du soleil et sombrant après s'être brûlé les ailes. Conditionnée par son désir de bouleversement, de sortie de son quotidien, Dounia traverse donc la forme fréquemment employée du personnage qui connaît une chute aussi soudaine que sa montée en puissance.
Malheureusement, la volonté dénonciatrice de la réalisatrice a peut-être tendance à voir sa portée réduite par le fait d'une violence exacerbée dans la fin du long métrage, qu'elle soit physique ou morale. Le côté tragique déroulé tout au long du film trouve ici son paroxysme, en ajoutant encore des conséquences aux actions de Dounia qui voit finalement sa vie bouleversée, mais pas dans le sens qu'elle l'espérait. L'enfermement décrit tout au long du film avait déjà le mérite de délivrer les enseignements principaux du récit, et Houda Benyamina annihile presque ceux-ci en tombant dans la caricature, même si toute la situation découle de manière assez logique. Néanmoins, on retiendra une vision propre de la part de la réalisatrice qui transparaît de la majorité du film, et la dénonciation d'un enfermement, certes théorique, mais bel et bien vivace dans notre société actuelle.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes En 2016, je mange du film., Les meilleurs films de 2016, Les plus belles affiches de films et 2018, l'année des pépites ?
Créée
le 15 mai 2018
Critique lue 535 fois
2 j'aime
4 commentaires
D'autres avis sur Divines
Le cinéma français contemporain, d’Audiard (Dheepan) à Sciamma (Bandes de Filles), tente de construire un regard sur la banlieue. Il cherche à s’accaparer cet univers qui, pour beaucoup, à commencer...
Par
le 30 août 2016
72 j'aime
7
La réussite. Dur d'y croire lorsqu'on vient d'une banlieue où le quotidien se résume au trafic, à la violence et à la religion. Pourtant, rien ne peut empêcher les rêves et les ambitions de naître...
Par
le 2 sept. 2016
51 j'aime
5
Oulaya Amamra. Il sera difficile de parler de ce film sans mettre le nom d'Oulaya Amamra à chacune des lignes de cette prose tant la performance de l'héroïne de "Divines" est à couper le souffle. Une...
le 25 août 2016
48 j'aime
2
Du même critique
*The strangers* (Goksung) est le 3ème film de Na Hong-jin, auparavant réalisateur de *The chaser* et *The murderer*, traitant tous deux d'enquêtes policières teintées de vengeance, dans la tradition...
Par
le 8 avr. 2018
8 j'aime
6
Le fils de Saul part de cette fameuse idée de parti pris de mise en scène ; on a presque l'impression que Nemes et ses collaborateurs ont uniquement réfléchi à la représentation de la Shoah...
Par
le 4 avr. 2017
7 j'aime
4
Lançons nous dans ce gouffre interprétatif qu'est Under The Skin. A ceux n'ayant pas vu le film et qui passeraient par hasard ici, je vous conseille de passer votre chemin car je vais avoir besoin de...
Par
le 5 mai 2020
5 j'aime
2