Banlieue-land
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De la puissance en tout et pour tout, là où il faudrait un contrepoint doux, de l'intelligence, là où la victimisation ou la revendication crissent aussi. Le discours est idiot mais tellement réduit et irréfléchi qu'il devient difficile de le prendre prioritairement en considération. Ce qui devrait être (et reste sûrement) une faute participe à la réussite de ce Divines, film ultra subjectif où les filles et les femmes s'approprient les valeurs supposées du sexe opposé (« t'as du clitoris toi j'aime bien », hommes-objets, coups pris et donnés, etc). Divines se pose ouvertement comme un Scarface féminin, un Scarface de 'la zone' contemporaine (au moins socialement et esthétiquement).
Au centre, Dounia, une pré-adulte ambitieuse (jouée par Oulaya Amamra) dans laquelle la réalisatrice (sa grande sœur Houda Benyamina) se retrouve ostensiblement – ses propos et ses frasques confirmeront à la sortie. Comme elle, la réalisatrice a peu de recul et de conscience, accompagne avec enthousiasme ses rêves de bling-bling. Toute différence ici sera en trompe-l’œil. Dounia est comparable à un homme, en déshérence mais turbulent, jutant sur un clip de rap. Accomplie elle aura les thunes, les gadgets high-techs, pourra s'affirmer, puis surtout affirmer sa puissance et brailler librement – ce sera probablement le comble de la classe, dans son esprit. Rebecca, sa 'patronne' d'élection est un peu son modèle pour l'ici et maintenant (car elle rêve d'ailleurs, du côté des USA ou des îles ensoleillées – avec plages et hôtels de luxe sinon rien). Elle sait ce qu'il faut vouloir et comment l'avoir (l'argent facile à tout prix), elle sait aussi pourquoi on reste en bas : « le pauvre il ose pas ».
Cette gangsta qu'elle admire la conduit à la satisfaction, aux montées d'adrénaline mais aussi à la ruine – un peu de morale conventionnelle pourra se greffer sur le discours, 'heureusement' ces proportions sauront être diluées par des contre-offensive virulentes (le final démagogique en est l'exemple le plus grossier, avec la malice de se relier à des échauffourées passées, des petits éclats de l'Histoire de France récente). La séance dégage une force émotionnelle notable. La brutalité et l'adhésion aveugle paient, ainsi qu'une certaine maîtrise (la réalisatrice s'est déjà 'entraînée' ou affirmée via plusieurs courts ou moyens-métrages). Cette réalisation a les vices et vertus de l'ivresse, se compensant l'un l'autre (fluide et gras, parfois pataud mais en général très énergique, superficiel mais intense). Au-delà de la complaisance et même si le quotidien n'est pas son sujet, Divines est conforme à la réalité de ses sujets – représentants typés et colorés d'une certaine jeunesse, impulsive, cynique, mordante voire cruelle malgré sa candeur.
La représentation de la banlieue n'y gagne pas : c'est toujours la misère sans nuance, la 'seule voie' c'est la violence et les trafics, elle ne produit que des sauvageons ou des suiveurs. De ce point de vue, ce n'est ni flatteur ni novateur ; Divines reste dans un créneau éculé, avec un ton et une 'faune' unilatérale (tous des agités de la jungle). Quand il y a la prétention à être ancré dans la réalité, ou à valoriser ses habitants, un problème se pose ; si la banlieue n'était qu'un décors avec une variété d'êtres, ce n'en serait pas un. Au-delà de ses caractéristiques de base (fille+banlieue) l’héroïne avait d'autres mobiles pour se construire et s'opposer, comme sa mère abjecte. La question est évacuée au profit de poses tragiques, soutenues par les morceaux les plus 'mainstream' de la musique classique. Le film sait également être drôle, grâce à Maimouna (Déborah Lukumuena) et aux imitations de l'autorité (la prof d'école ou le coach de danse tournés en dérision).
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Créée
le 18 déc. 2016
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