La jouissance avait un nom, elle s'appelait Django
Tarantino, c'est tout le cinéma que j'aime.
On l'aime ou on le déteste. Certains érigent une statue à son effigie (moi ? mais pas du tout....), d'autres le trouvent overrated. Mais il n'empêche qu'il est un des rares cinéastes à intéresser à la fois le spectateur occasionnel et le cinéphage passionné. Comme on peut le constater, bon nombre de films tarantiniens garnissent le top 10 des passionnés de cinéma sur beaucoup de sites communautaires (qui a dit SensCritique ? Qui a dit CineLounge ? Un peu de pub au passage ne fait pas de mal), jusqu'au magazine cinématographique le plus critique. A l'image de Pulp Fiction, symbole cinématographique intergénérationnel.
Même si son précédent film Inglourious Basterds n'aurait pas été à la hauteur de ses espérances, ce film aura marqué, d'un coup de scalpel nazi, un tournant majeur dans sa filmographie, que certains qualifieront du tournant de la maturité ; Tarantino choisissant de revenir à un cinéma à la narration plus classique, linéaire et non éclatée, tout en conservant certains "tocs" de réalisation bien à lui. Le film possédait également des prémices du western dont il chérie tant. Qu'attendait-il pour se lancer enfin, une bonne fois pour toute, dans le western Spaghetti ?
"I think it's my masterpiece", ironisait le lieutenant Aldo Raine. Ironie ? Pas tant que ça finalement, puisque c'est bien 4 ans après que cette affirmation sera vérifiée. 20 ans après Pulp Fiction, Tarantino tient enfin son nouveau chef d'oeuvre.
J'ai trouvé inutile de rependre l'histoire de A à Z, ma "critique" reprendra quelques points remarquables du film.
Comme je le disais en guise d'introduction, le cinéma de Tarantino passe un nouveau cap et gagne en maturité :
La forme de sa réalisation sert davantage service au fond qu'à la forme en elle-même. Et s'efface désormais pour appuyer la construction de son récit. Ce qui prouve que Tarantino sait autant maîtriser une mise en scène maniériste qu'une mise en scène classique et au service du récit ( François Bégaudeau l'analyse très bien d'ailleurs, je vous invite à regarder l'émission Le Cercle à ce sujet).
Concrètement, cela se traduit par des dialogues moins omniprésents, moins de dialogues à limite du hors sujet (ce qui a pourtant fait la réussite de Reservoir Dogs et Pulp Fiction par exemple) mais directement insérés dans la toile de fond. Les jeux de mots, la richesse du dialogue ne deviennent plus le récit en lui-même, il restent à la marge pour justifier l'action présente.
Pour illustrer ce point de vue, on peut distinguer 2 méthodes de réalisation plutôt différentes :
La première partie : très western, à mi-chemin entre la déclaration d'amour du genre aux multiples hommages, et un style Tarantinien très classique. Comme à l'accoutumée le film possède son lot de références formelles : zooms kitsch, gros plans grossiers façon Sergio Leone, explosions généreuses à coups de dynamites, des références directes au cinéma de Corbucci (dont je ne connais pas encore, mais qu'il me tarde de découvrir), etc...
En nouveauté, Tarantino se lâche dans des séquences clipesques servant de transition, (ce qui me fait penser que Zack Snyder devrait arrêter de faire des films qui ressemblent à rien (mais non c'est pas vrai je plaisante)
On peut aussi savourer des séquences contemplatives aux décors mystiques à la Valhala Rising (ex : Django et sa femme prenant leur bain dans le lac en hiver).
Enfin bref, même si les références sont nombreuses, tout l'arsenal du western est présent dans cette première partie, pour un résultat plus que jouissif.
Puis, passé la 2ème heure, et l'arrivée de Django et Schultz dans la demeurre du grand méchant (mais fort sympathique) Calvin Candy, on parvient à la 2è partie du film, qui marque le retour de la patte Tarantino, la vraie.
On reconnait l'art de "l'attente", de l'étirement des séquences annonçant une catastrophe imminente, un bain de sang qui tarde à venir, et qui finalement surviendra au moment où l'on s'attend le moins.
On aura retenu notre souffle à de nombreuses reprises aux moments où Django hésitait à sortir son colt, pour finalement pas grand chose, si ce n'est que pour retarder encore une fois l'échéance.
Des projections généreuses et jouissives d'hémoglobine, souvent borderline et dans la limite du politiquement correct. Mais Tarantino a parfaitement su superposer les différents degrés d'utilisation de la violence au sein de l'histoire : il y a la violence à prendre au premier degré, tenant du contexte historique douloureux et d'une certaine réalité des années esclavagistes ; et il y a aussi la violence en second degré, volontairement too much, la plus jouissive de toutes. C'est peut-être la première fois que l'on arrive à distinguer ces deux types de violence dans un de ces films. La preuve que Tarantino est capable de s'inspirer de quelques éléments de l'Histoire et de se les réapproprier à bon escient. Ce qui au final se traduit par une mélange de sentiments inédits chez le spectateur : à la fois de l'effroi et de la jouissance (oui, encore le mot jouissance...). Pour notre plus grand plaisir !
Bon j'ai toujours pas parlé des personnages, autre point fort du film, si ce n'est le point culminant. Tarantino a l'immense chance de s'entourer d'acteurs géniaux, et totalement en adéquation avec son univers.
Contrairement aux avis généraux du site, Jamie Fox et son personnage n'aura pas été si mis à l'écart que ça, par le charisme et la virtuosité d'un Christophe Waltz en pleine forme. Django est justement omniprésent par son silence, et se manifeste en prenant à partie le spectateur, telle une bombe à retardement. Il est plus ou moins le thermomètre du film. Il joue avec le mercure, mais à aucun moment on ne sait quand celui-ci va exploser (ex : le nombre de fois où il titille l'orgueil de Candy, et provoque parfois même ses semblables), si ce n'est vers la fin, le moment de l'apothéose, le point culminant, la boucherie vengeresque sanguinolante.
Honnêtement, cela faisait depuis très longtemps qu'un personnage n'a pas autant incarné l'esprit tarantinien. Et puis quelle classe ! Quel style !
Je peux parier qu'on retiendra Django comme un des plus grands héros du cinéma du XXIè siècle. J'ai envie d'y croire en tous cas.
Je m'attarde sur Jamie Fox, qui livre la performance de sa vie, mais tous les personnages sont joués à la perfection (parfois même de manière suprenante, (aka Di Caprio, qui joue son premier rôle de méchant classe). Mention spéciale au Docteur Schultz, cet ancien dentiste reconverti en "marchant de cadavres". Ce dernier n'hésite pas à buter du cowboy au nom la Justice, mais dont l'excès d'orgueil finira par dépasser la raison, lors d'une poignée de main qui était visiblement de trop.
Tarantino s'offre le doux privilège de se faire exploser la gueule à coup de dynamite lors de son nouveau caméo, quoi de plus normal !
En définitive, ce film marquera les esprits par sa générosité, , ses scènes déja cultes (la séquence du KKK est à mourir de rire), son détournement de l'Histoire, son histoire d'amour de second plan mais néanmoins touchante, sa photographie sublime, ses décors somptueux, sa bande son à tomber par terre, son casting impressionnant et son niveau de jouissance jamais encore égalé ces dernières années.
Enfin bref, l'énumération et les superlatifs sont suffisamment nombreux et pompeux pour conclure une et une seule chose :
Si la jouissance avait un nom, elle s'appellerait Django.