L’avantage avec Quentin Tarantino, c’est qu’on a la certitude d’être surpris à chaque fois. Le réalisateur qui voue un véritable culte au 7e art et à ses multiples influences, s’est d’ailleurs fait une spécialité de revisiter les genres cinématographiques à sa sauce. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne manque pas de piment.
Après le second volet de Kill Bill, c’est la deuxième fois que le réalisateur américain s’essaie au western. S’il y a bien une chose que l’on ne peut reprocher au film, c’est bien son originalité. Personne - à commencer par l’auteur de ses lignes - n’aurait la prétention d’affirmer qu’il connait à peu près tout des westerns. Néanmoins, tout porte à croire que rien de tel que Django n’avait encore été réalisé pour le cinéma.
« Django unchained » qui ambitionne de dépoussiérer l’esclavagisme des noirs aux Etats-Unis peu avant le début de la guerre de Sécession, est une œuvre tout ce qu’il y a de plus hybride. Les personnages sont comme toujours bien travaillés, les dialogues bien écrits, la photo magnifique et l’histoire originale.
L’intrigue est construite autour de la quête de Jamie Foxx qui cherche à parvenir à libérer sa femme de sa condition d’esclave. Le problème c’est qu’on on se rend vite compte qu’en réalité, on se fiche pas mal de savoir si Django y parviendra ou non. C’est là le premier souci du film : assez peu d’émotions s’en dégagent. En toute logique, le spectateur est censé s’identifier à Django en quête de liberté puis de justice tout comme il s’identifiait à Uma Turman dans Kill Bill dans sa quête de vengeance. Ici, en 2h45, QT n’est pas fichu de nous de nous donner un seul élément qui crée de l’empathie. On ne sait pratiquement rien de Django ni de sa femme. Difficile du coup d’être véritablement ému ou inquiet de/sur leur sort.
Ce qui intéresse QT et qui nous captive par la même occasion puisqu’il connait son sujet, ce sont les situations. Et la manière dont les personnages, particulièrement celui de l’ingénieux chasseur de prime merveilleusement interprété par Christoph Waltz, vont procéder pour s’extirper du danger et retourner les choses en leur faveur. Fort heureusement, QT maitrise à merveille ces scènes de huis-clos qu’il étire à l’envi pour laisser la place au machiavélisme de ses personnages. La scène du saloon fait partie de ces moments jubilatoires qui sont la première qualité du film.
Les dialogues taillés sur mesure, les répliques qui font mouche, les traits d’humour – quand ils sont bien placés, pas trop grossiers ni redondants – restent son arme favorite pour aiguiser l’appétit du spectateur. Et il faut vraiment tout le talent du maître parce qu’à une ou deux reprises on frise la longueur, au milieu d’un film finalement assez peu dopé à l’action et aux rebondissements si l’on excepte la dernière demi-heure. Les choix musicaux sont intéressants. Mais il est dommage que les morceaux soient souvent coupés net. Une fois de plus on regrettera aussi que QT ne fasse pas appel à la composition.
Si le scénario peut aller par moments jusqu’à paraître paresseux bien que les morceaux de bravoure soient nombreux, c’est parce que le film souffre de l’ambigüité de son ton. Jamais QT ne tranche vraiment entre le sérieux d’une quête incarné par tout ce que représente l’esclavage et ses envies de voir les scènes digresser, ses personnages faire le show. Ce procédé osé de renversement des tons fonctionne parfois à merveille. D’autre fois, les effets de manche tombent un peu à plat. Par éclairs, il arrive même qu’ils paraissent quelque peu lourdingues.
Par bonheur, QT conserve cette extraordinaire propension à nous faire digérer le moins bien pour nous projeter vers un autre décor, une autre situation à démêler car de nouveaux personnages, dont bien peu font potiche, entrent en scène. Dans cette espèce de road movie de l’Ouest, les somptueux paysages qui rappellent ceux de True Grit sont à la hauteur de la réalisation. Si QT abuse parfois du zoom, il nous offre quelques moments d’anthologie en tête desquels figure une conversation virevoltante à quatre dans laquelle Django fait preuve de malice, qui n’est pas sans rappeler la scène finale mythique dans le « Bon, la brute et le truand ».
« Django unchained » est un film ingénieux et hors du commun à plus d’un titre. Mais son espèce de fausse légèreté eu égard à l’ambition du projet divisera certains spectateurs. Tel un film de Robert Rodriguez, mieux vaut éviter de regarder le dernier Tarantino au premier degré. Les esclaves sont systématiquement présentés avec un regard hagard et dépourvus de la moindre capacité de réaction. Les serviteurs noirs ne sont que des faire-valoir. Le personnage de Leonardo Di Caprio est un modèle de caricature. Quant à Django, il oublie bien vite d’où il vient pour se montrer aussi odieux envers les siens que ce qu’il haït ceux qu’il pourchasse.
Bref en y regardant de plus près, l’ensemble reste quand même assez primaire. Par moments, le film en devient limite dérangeant. Et l’acharnement de Tarantino à parler de « nègres » pour désigner les esclaves « noirs » nous inviterait presque à nous demander s’il n’a pas un problème avec le sujet qu’il traite. A noter que la VO passe beaucoup mieux.
En réalité, « Boulevard de la mort » que l’on prenait à l’époque pour un délire passager pourrait bien avoir marqué un tournant dans la carrière du réalisateur. Celui-ci a toujours prévenu « [qu’il] ne ferait que des films qu’[il] aimerai[t] [lui]-même voir au cinéma ». Force est de constater qu’il semble de plus en plus se faire plaisir en priorité. Quitte à laisser à quelques uns de ses fans de la première heure une pointe d’amertume.
Après la farce potache en forme de pseudo-revanche des femmes sur les hommes dans la série Z « Boulevard de la mort », puis celle des juifs sur les nazis dans l’inégal « Inglorious basterds », QT a donc choisi une étrange revanche des noirs sur les blancs. Trois longs métrages qui tendent finalement davantage vers la parodie que les films plus matures auxquels il nous avait habitués jusqu’à Kill Bill 2. Et force est de constater que ce n’est pas la parodie qu’il maîtrise le mieux.
C’est comme si, au fil du temps, QT cherchait à se débarrasser de certains de ses codes pour retomber en enfance. Il serait bienvenu que l’enfant gâté du 7e art finisse par grandir. Histoire de nous livrer un jour un opus du niveau de Jackie Brown.