Dobermann est l'adaptation d'une série littéraire éponyme de Joel Houssin, auteur prolifique de l'anticipation à la française. Déroutant, dérangeant, ultra-violent, le film séduit par ses séquences d'action autant qu'il agace par sa surenchère de brutalité outrancière et de personnages tous azimuts. Il y a Moustic, le petit con prétentieux et gouailleur, l'Abbé, pauvre taré lubrique qui n'a de réelle foi qu'en la gâchette, PitBull l'homme fort, véritable colosse abruti par les coups reçus et donnés, la Bohémienne, beauté mutique et vénéneuse et puis le Dobermann, chef de bande charismatique, légèrement plus censé que ses compagnons mais pas moins ivre d'action et de pétarade. Car outre l'appât du gain, ce qui motive avant tout ce sympathique petit groupe de braqueurs iconoclastes, c'est la décharge d'adrénaline, la montée en puissance du danger et l'euphorie de la transgression sociale.
Collectionnant les braquages réussis et semant les flics morts sur leur passage, le petit groupe devient très vite la cible privilégiée de toutes les polices. Parmi cette armée de flics sur le pied de guerre, se démarque l'inspecteur Christini, un cogne sur le retour, impulsif, excessif et sadique. Il voit en l'affaire du Dobermann, l'occasion rêvée de laisser parler toute sa hargne et envoie gentiment se faire voir l'IGS et leurs montagnes de paperasses inutiles. Car la Hyène a bien l'intention de se bouffer le Dobermann et gare à ceux qui se mettront en travers de sa route.
Le voyou c'est comme le gibier, faut que la viande pourrisse un peu
pour qu'elle soit bonne.
Impossible de trouver le moindre référent sensé dans le film de Kounen, tous les protagonistes sont aussi déments les uns que les autres, flics comme truands. La palme appartient de loin au commissaire Christini, (Tchéky Karyo dans un de ses rôles de taré habituel) très judicieusement surnommé La Hyène et dont la folie excessive semble n'avoir aucune limite. On le voit ainsi à l'oeuvre, en balançant un nourrisson comme un vulgaire ballon à son adjoint, puis en flinguant sans prévenir un suspect en plein interrogatoire ou même en se débouchant allégrement les sinus en sniffant un rail de poudre qui lui enlève les derniers restes de bon sens. Ses débordements, il les commet sans aucune retenue devant son adjoint en lequel on reconnaît le Ricco de l'ouverture de Nikita. Et s'il y a bien un personnage normal dans tout ce petit de monde de fêlé, c'est bien cet autre inspecteur en chef, rival de Christini et totalement largué devant l'ampleur des dégâts.
Face aux cognes, le Dobermann et sa bande font office de personnages secondaires. Une clique de braqueurs hauts en couleurs et dégénérés, haïssant tout ce qui ressemble de près ou de loin à un flic. Il faut les voir attaquer un fourgon blindé au lance-roquettes (ce qui fera des émules dans la vie réelle) ou insérer une grenade dans le casque d'un motard pugnace.
C'est bien cette confusion entre truands et flics qui dérange dans le film de Kounen, et bien que ce dernier souligne constamment l'absurdité d'une société qui s'engouffre dans le chaos, on pourra objecter que Dobermann est loin d'être la première satire cinématographique à diluer la mince frontière entre "bons" et "méchants".
Ainsi, Jan Kounen emprunte sans complexe à Kubrick (Orange mécanique), Besson (Christini qui envoie balader l'IGS fait clairement penser à Stansfield dans Léon), Verhoeven (Robocop) et Stone (Tueurs nés) pour définir le style et la folie de son long-métrage. Et pourtant malgré ces emprunts trop évidents et ses quelques défauts stylistiques, dont une sacrée collection de clichés, je garde toujours une certaine affection pour ce film, que ce soit pour le braquage de banque en milieu de métrage, pour Duris se faisant joyeusement dégommer dans les parties (oh joie...) et pour son règlement de comptes final dans une voiture de police lancée à toute allure sur une voie rapide (ce qui me fait penser que Karyo aurait finalement fait un bon Double-Face pour Batman).
Le film de Kounen séduit donc par sa vision marginale et excessive autant qu'il rebute par son style poussif et son absence totale de bon sens. Au final, Dobermann c'est un peu comme un pot-pourri du polar hardcore à la française, inclassable certes, totalement foutraque oui, mais terriblement efficace.