Alors qu'il n'a peut être jamais été aussi prolifique, avec ses films aux budgets de plus en plus conséquents et l'apparition des univers partagés (exemple l'Univers Cinématographique de Marvel), Hollywood n'a pourtant jamais paru aussi peu inspiré. Entre les différentes tendances de suites, reboots, spin-off, etc pour les franchises actuelles et passées, on n'a jamais vu autant de sagas des années 80-90 revenir littéralement sur les devants de la scène, on est semble-t-il coincé dans une période qui n'est capable que de se servir du vieux pour tenter de faire du neuf. Il n'est donc pas étonnant de voir qu'une nouvelle tendance a fait son apparition ces dernières années, celle de ré-explorer l'histoire de grandes figures de la littérature. On a pu voir ça de façon "grand public" avec les récents Sherlock Holmes de Guy Ritchie et même de façon plus "artistique" avec l'encore plus récent Macbeth de Justin Kurzel. Même si ses relectures peuvent s'avérer assez efficaces, il ne fait aucun doute qu'elles manquent singulièrement d'originalité et ont du mal à se justifier. Les choses ne semblent pas très différentes pour cette "nouvelle" vision du mythe de Frankenstein qui souffre un peu trop de la comparaison avec ce qui a pu se faire avant dans le genre.
Le scénario était pourtant plein de promesses car il était de la main de Max Landis, scénariste qui a fait ses premiers pas avec le très réussi Chronicle – réinvention brillante et sensible du film de super-héros – et qui était aussi l'auteur du sympathique American Ultra où il dynamisait le teen movie d'une vision acerbe, satirique et aussi terriblement romantique. Il s'est donc très vite imposé comme quelqu'un qui a un certain talent pour détourner les codes d'un genre et tenter d'apporter des choses nouvelles. Sauf qu'ici il n'est pas en mesure de réitérer ses exploits passés et fait de ce Victor Frankenstein, une oeuvre rock'n'roll et décomplexée qui n'est là que pour créer du divertissement. Jamais on ne retrouve la dimension tragique et fascinante de l'oeuvre de Mary Shelley, ce qui n'aurait pas non plus été un mal si le film avait été capable de trouver son propre ton. Alors que là, on est face à un ersatz du Sherlock Holmes de Ritchie, que ce soit visuellement ou scénaristiquement d'ailleurs. L'intrigue mise donc beaucoup sur le duo que forment le Docteur Frankenstein et Igor, jouant souvent la carte de l'humour qui, sans être particulièrement réussie, arrive de temps en temps à faire mouche. La relation entre les deux hommes est convaincante, même si les traumatismes de Frankenstein sont simplistes et que Igor est affublé d'une romance prétexte, dans le sens que l'on sent bien qu'elle est là parce que tout blockbuster digne de ce nom doit avoir sa romance. Mais il n'empêche que malgré ses ajouts simplistes, la dynamique qui les lie se montre particulièrement intéressante : ce sont des hommes relativement complexes, l'un par sa folie latente et l'autre par son aspect victime volontaire, permettant d'exploiter une relation toxique en interrogeant la valeur de l'amitié. Ici c'est Igor, la créature de Frankenstein et, plus que le lien père-fils, le film s'intéresse à la fraternité et le fait de manière crédible.
Après, comme pour tout blockbuster, l'histoire se sent obligée de créer des péripéties et d'imposer des méchants pas forcément crédibles, comme pour ce jeune fils de riche qui veut exploiter les recherches de Frankenstein à des fins personnelles ou encore avec un policier très croyant qui va partir en quête obsessionnelle contre le duo qu'il prend pour des hérétiques. Ces éléments restent au final accessoires et peu captivants même si l'interrogation sur la religion et le fanatisme est loin d'être inintéressante et qu'elle est savamment exploitée dans son absence de manichéisme et dans sa manière de créer une dualité. L'inspecteur et Frankenstein partagent tout deux une même obsession mais ils y portent un regard différent et l'ensemble nous interroge subtilement sur l'importance des points de vue. L'intrigue se montre globalement prévisible mais ne tombe pas dans les pièges de ce genre de film. La romance, malgré son aspect accessoire, évite la niaiserie, les clichés sont pour la plupart du temps amoindris et habilement dissimulés et l'ensemble évite la grandiloquence. On est donc devant une unité assez humble qui a conscience de son manque d'originalité et qui évite d'en faire trop, préférant miser sur une efficacité juvénile au risque d'en être une oeuvre limitée. Le seul aspect vraiment déplorable sera la fin, bien trop didactique et peu subtile, qui reste ouverte à d'autres suites empêchant tout sentiment d'accomplissement. Elle est décevante et terriblement frustrante.
La véritable attraction du film est sans aucun doute son duo d'acteurs, et ils ne déçoivent pas. Daniel Radcliffe, plus présent étant donné que l'on suit l'histoire depuis son point de vue, arrive à incarner Igor avec justesse et sensibilité. Il apporte une touche d'humanité non négligeable au film et parvient à assurer une large palette d'émotions. Il reste cependant écrasé par la présence magnétique de James McAvoy, qui est comme à son habitude brillant. Au bord du cabotinage sans jamais franchir la limite, il habite totalement son personnage et parvient à lui donner plus d'épaisseur que sur le papier. A la fois fiévreux, empli de folie et d'une justesse tragique admirable, il confère à l'ensemble toute son énergie et rend le spectacle assez captivant. Les deux acteurs sont accompagnés d'un casting majoritairement honorable sans être transcendant, on retiendra juste Andrew Scott, véritable star montante du moment, qui est clairement cabotin dans son rôle mais il contraste bien avec le jeu de McAvoy. L'antagonisme des personnages n'en étant que plus palpable et crédible.
La mise en scène de Paul McGuigan manque de substance dans l'ensemble même si elle dispose de plans esthétiquement superbes, dus surtout à une excellente direction artistique qui retransmet bien l'essence de l'époque et l'excentricité des personnages. On reste très proche des Sherlock Holmes de Guy Ritchie alors que l'on aurait mieux aimé voir McGuigan s'inspirer du travail qu'il a fait pour Sherlock mais sur le petit écran. L'ensemble reste quand même maîtrisé et quelques bonnes idées ressortent ici et là malgré une séquence d'ouverture un brin ridicule par son aspect too much. La photographie est particulièrement réussie tout comme le montage qui assure un rythme qui ne faiblit pas, ne laissant aucune place à l'ennui. Mais la vraie réussite est probablement la bande son et plus particulièrement le score enivrant et baroque de Craig Armstrong qui est un vrai plaisir pour les oreilles. Le film est donc visuellement assez appréciable même s'il manque un peu d'homogénéité, pouvant offrir de très belles envolées esthétiques comme des effets visuels très kitsch lors des deux apparitions du titre, une vision en rayon x, sorte de sixième sens des personnages ou encore des effets spéciaux datés.
Victor Frankenstein n'est donc pas la purge annoncée. Certes, le film a énormément de défauts et le plus impardonnable de tous est son manque d'originalité, cependant, il reste une oeuvre relativement efficace et bien moins boursouflée que certains blockbusters actuels, parvenant même à éviter la plupart des pièges des grosses productions. Il aurait clairement pu être bien meilleur et cède à des facilités qui l'amoindrissent mais propose quelques pistes de réflexions bien vues et rarement exploitées dans les films du genre. Surtout, l'ensemble est interprété par un duo convaincant et impliqué, aidé par l'énergie communicative d'un acteur d'exception. Loin d'être parfait donc mais relativement plaisant, et à défaut d'avoir un grand film à la hauteur de l'oeuvre de Shelley, on à le droit à un divertissement sympathique dans l'ère du temps. A chacun son époque comme on peut dire et il faut parfois savoir s'en contenter.
Critique sur cineseries-mag.fr