Les présents développements portent sur la version longue de Doctor Sleep.


Sur le papier faire une suite à Shining laisse penser à une démarche avant tout opportuniste comme on en a l'habitude dans le paysage hollywoodien. A y regarder d'un peu plus près Stephen King a tout de même écrit une suite au livre éponyme dont Shining tirait une des adaptations. Il y a donc moins matière à s'offusquer devant l'entreprise puisque le projet ne sort pas complétement du chapeau. A y regarder d'encore plus près le réalisateur est Mike Flanagan qui, sans être le réalisateur du moment, n'est certainement pas un quidam dans la réalisation fantastiqu'horrifique depuis la plaisante série The Haunting of Hill House. Enfin la présence au casting d'Ewan Mcgregor, le best guy ever, et Rebecca Ferguson, jouissant d'une puissante aura dans son rôle, assure, peut-on être autorisé à le penser, l'authenticité de la démarche.


L'histoire ne manque pas de se raccrocher au "premier volet". Dany a grandi, pas comme on pourrait l'espérer, mais c'est comme dans la vie. Les espoirs se prennent la réalité en pleine tête et voilà qu'il couche avec une cocaïnomane et lui vole son argent. Progressivement est expliquée la relation entre Dany et Wendy qui n'a pas viré à l'idéale du fait du fantôme de Jack qui se fixe sur l'enfant dans les yeux de sa pauvre maman. Dany entame ensuite une virée vers la rédemption qui durera une petite dizaine d'années avant que son histoire ne rejoigne celle d'Abra, le nouvel enfant shining et la vénéneuse Rose The Hat entourée de son harem de sbires ambiance bobo-chics en caravanes.


Le visuel ne manque pas non plus de se raccrocher au "premier volet". Des plans iconiques de Kubrick sont reproduits dans l'Overlook sous formes de citations filmiques. Néanmoins les acteurs jouant des personnages déjà présentés dans le premier sont clairement différents. L'excentricité des visages numériques a donc le bon goût de ne servir qu'à illustrer la mort d'un certain type de personnages sous la forme de planches anatomiques superposées sous effet stroboscopique. L'esthétique visuelle de l'auteur est tout à fait appréciable, bien souvent dépouillée et cotonneuse avec des couleurs agréablement prononcées et une utilisation de plans zénithaux qui traduisent assez bien la sensation de shining qui permet de voir les choses sous un angle inaccessible à la majorité.


Malgré cette simplicité de nombreuses scènes ne manquent tout de même pas d'impressionner et d'ancrer sans surplus le fantastique dans le récit comme par exemple la fameuse transportation mentale de Rose The Hat dans l'atmosphère ou encore les scènes de festin vaporeux de son clan.
De plus le film ne vole pas sa classification "rated-R" aux Etats-Unis. L'empreinte violente d'un récit à la King est donc bien présente sans forcément atteindre le ridicule d'un "Ca 2". Je retiendrai notamment une main glissée dans un tiroir, une pub pour la sécurité routière comme on n'en voit pas souvent, une fusillade en toute simplicité ainsi qu'une scène montrant le terrible destin de Jacob Tremblay après son évasion d'une cabane où il vivait depuis sa naissance avec sa mamounette. Décidément il aura pas eu de chance lui...


En veillant à ne pas trop dévoiler la résolution des conflits notons que celle-ci est très intéressante et nourrit un univers de l'histoire qui était déjà assez intéressant jusque là avec l'existence d'une société de quasi-vampires qui ont infiltré le monde jusqu'à la NSA (comme on le comprend au détour d'un dialogue impliquant un ancien de la série Fargo), des boîtes pas pleines de chocolats du tout, n'en déplaise à Forrest Gump, et un chat magique aux yeux à tomber par terre... En arrivant à cette fameuse résolution Dany prend le temps pour une petite conversation salvatrice avec un vieil ami d'E.T. l'extraterrestre. Cette conversation a joué pour un peu sur mon appréciation du film, surtout après avoir vu la version longue, car elle flatte un peu ma critique de Shining (auto-promo : https://www.senscritique.com/film/Shining/critique/193503907) et surtout l'interprétation que j'essayais d'en avoir sur la vision de l'horreur du quotidien que semblait vivre le Jack Torrance de Shining. Mike Flanagan ne manque donc pas de répondre aux deux univers tant littéraire (S. King) que cinématographique (S. Kubrick) qui le précèdent. Voilà donc une synthèse de démarches artistiques parmi les plus intéressantes du moment qui aura fini de mettre sous mon radar ce réalisateur.


Si Doctor Sleep ne verse pas dans la nostalgie bas-de-plafond comme sont coupables de nombreuses productions de ces dernières années, il réussit aussi à récupérer le témoin de deux grands monstres artistiques en toute simplicité et authenticité pour livrer notamment un récit sur ce chemin de guérison nécessaire pour affronter sereinement la fin de nos déambulations ici-bas. Tout cela dans un rythme qui n'est pas des plus vifs, très verbeux dans le bon sens du terme et qui prend son temps pour décanter. Un bon vieux whisky dirait Rose The Hat. Ne vous fiez donc pas au bruit ambiant sur le sacrilège que constituerait ce film. Les sacrilèges sont une hérésie d'ailleurs, une posture de l'esprit parmi d'autres qui empêche d'aller parfois vers certaines oeuvres. Vivement le prochain dans 40 ans ! Même si dans le making-of Stephen King se contente de dire, à propos d'une troisième histoire centrée sur une Abra plus âgée, qu'il ne faut jamais dire jamais sans guère plus d'enthousiasme dans la voix...

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le 30 mars 2020

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Vagabond

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