(Attention aux spoilers éhontés)
Douloureux d’un marketing enclin à jouer les précieuses ridicules (au point de livrer des affiches pleines de trous censées garder le secret de soi-disant orgasmes filmiques) Spider-Man : No Way Home tient-il au final sa promesse de divertissement événementiel ? Allant de l'enchainement de péripéties faisant bayer aux corneilles jusqu'au traumatisme provoqué par des pantomimes d'outre-tombe, No Way Home se meut devant nous comme un Frankenstein à peine rafistolé, le filet de bave de la bêtise au coin de la lèvre.
The cancelled Spider-Man
Si il aura fallu trois films pour que Spider-man perde enfin un de ses proches pour le faire grandir, il n’est pas certain que cette bouffée d’émotion fasse véritablement avancer le personnage. En effet, Spider-man est oublié par tous à la fin de NWH. A partir de là, dépossédé de son histoire et déserté de toutes mémoires, vers quoi avancera-t-il ? Traiter les personnages de manière aussi excessive et binaire dans leur développement est le témoin d’une panne créative sévère en plus de ne pas faire cas de l'implication du spectateur qui se ferait un plaisir d'investir un peu ce Spider-man pas encore déballé.
Jon « Watts the fuck »
En voilà une réalisation de cochon. On ne s'étalera pas 107 ans mais par exemple l’ouverture du film nous montre un Spider-man, MJ pendue à son cou, qui ne se déplace pas vraiment dans l'espace mais qui voit le décor numérique se déplacer autour de lui pour singer des mouvements libres comme l’air. Pour les sensations fortes on repassera donc.
Jon Watts (et les autres réalisateurs de l’ombre) ne cherchent même pas à filmer de manière à nous laisser penser que leurs choix d’angles de caméra ou de plans aient une quelconque signification. Les méchants n’ont droit à aucune entrée triomphale. Les autres Spider-men se voient amoindris par une scène d’introduction sur la pointe des pieds (en plus de se voir contraints d’interagir avec la grand-mère de Ned pour quelques répliques insipides). Ne parlons même pas du rapatriement de chacun dans leurs univers respectifs, les gars disparaissent dans une lumière blanche qu’on ne comprend pas, regards portés vers le ciel. Le film les efface littéralement après s’en être repu.
Le nouveau code de la matrice ?
Si la coutume chez Marvel était d’axer les récits sur des macguffins pouvant être aussi ridicules que des cailloux colorés à rassembler, NWH essaie, sans grande inventivité, de dépoussiérer cette astuce scénaristique. Mais dans le fond, même s’il s’agira de réunir cette fois-ci une pléthore de personnages avant de refermer sereinement les brèches du multiverse, le spectateur se retrouvera à nouveau balloté d’une péripétie à une autre sans ménagement d’effets. Un multiverse qui dérangera tout autant. Supposé servir de logique souterraine à l’intégrité du récit, il peine grandement à démontrer sa capacité à lier les différents univers. Il ne dépasse pas le seul prétexte marketing pour pouvoir mettre tous les pions souhaités sur l'échiquier. Et il est certain que réunir trois itérations de Spider-man ne devait pas être contrarié par l’impossibilité d’une justification potable. Qu’à cela ne tienne ils sont tous là, tout comme les méchants, alors que les piètres règles de ce multiverse devraient tuer dans l’oeuf un tel champ des possibles.
De plus le spectateur ne pourra même pas jouer avec ce qu’il comprend de ce multiverse pour s’expliquer d’éventuels aspects de l’histoire ou même s'inventer des fantasmes pour les films à venir. Aucun moyen de naviguer par nous-mêmes comme dans une oeuvre à la Matrix, dont la logique intrinsèque (ce truchement de la matrice similaire à un multiverse au fond) nous permet de dériver et d’inventer renforçant ainsi notre lien avec l’œuvre proposée. A partir de là, difficile de ne pas se sentir pris pour un idiot né de la toute dernière pluie devant ce simili de créativité, qui se perdra en raccourcis et en invraisemblances.
Video Killed The Raimi-o Star
Le film réanime moins les cadavres du passé qu’il ne les transperce un peu plus. Cette sensation s’illustre notamment à travers le Spider-man incarné par Tobey Maguire. Car si c’est bien lui qui joue ici un des trois Spider-men, et qu’on le connaît pour avoir joué l’homme araignée devant l’objectif de Sam Raimi, à quel moment le film nous convainc-t-il que nous sommes bien en face du Spider-man des films de Sam Raimi ? Jamais. Ce syllogisme reste sans confirmation si ce n’est que les héros et vilains s’évertueront à réciter les synopsis des films précédents. Bref la greffe ne prend absolument pas malgré les antibiotiques que le film essaie d’enfoncer au fond de la gorge du spectateur.
C’est au final un constat éculé qui s’invite dans les têtes une fois que le générique déroule. Le déplacement de la caution créative d’un film, de l’artiste qui veut nous parler vers le seul business gobant les biftons, accentue, non pas la baisse de la fréquentation des cinémas (loin de là), mais l’inauthenticité du rapport qui pourra se créer entre l’oeuvre et le spectateur. Que ce soit dans un sens (le dialogue que l’œuvre tentera d’ouvrir se fait simpliste dans NWH) comme dans l’autre (le bouleversement des spectateurs, illustré en salle par des esclandres de joie devant ce troisième volet, frôle l’illégitime). Et cela se répétant jusqu’au jour où peut-être plus personne dans l’industrie ne saura faire un film grand-public sans cochonner le cinéma et son potentiel sur l’autel du carton facile au box-office.