Ouvrir la porte aux univers alternatifs, c'était le prétexte idéal pour abolir toute forme de cohérence dans une saga. Repartir à zéro ? Ressusciter les morts ? Ramener les anciennes versions ? Tout mélanger ? Avec le multivers, on peut tout faire. Le magnifique Spider-Man : New Generation s'appropriait le concept pour jeter un regard sur l'empreinte culturelle du tisseur de toile et accessoirement livrer son aventure la plus folle. À défaut d'inciter Sony à repenser sa stratégie grand public, le film d'animation lui a fourni un subterfuge rêvé pour la pérenniser. Le troisième volet de Spider-Man incarné par Tom Holland reprend l'idée de mondes parallèles pour confronter son héros aux méchants iconiques des deux précédentes versions. Un sacré défi que No Way Home n'est jamais en mesure de relever.
On avait laissé Peter Parker dans une situation peu enviable (son identité révélée à tous), ce qui permettait enfin de ramener le héros à des problématiques bien terrestres. Lieu commun si elle en est, la dichotomie entre l'identité privée et publique - une base dans la mythologie super-héroïque - fut occultée par une décennie de Marvelleries entièrement tournée vers le spectaculaire. Qu'allait-il advenir de notre étudiant surhumain alors que son existence est scrutée par des millions de caméras, smartphones et j'en passe ? Le sujet était là, le long-métrage règle la question en 20 minutes de la manière la plus superficielle qui soit. Une indolence qui confirme le peu d'intérêt envers les enjeux à taille humaine, ce qui est pourtant le socle d'une bonne histoire. Si on se place sur le terrain de l'écriture, ce numéro trois est incontestablement le plus faible, à quelques encâblures d'un Venom Let There Be Carnage. Le trio de tête a beau rester cinégénique, comment se passionner pour des personnages aussi stupides ou accessoires ? Zendaya et Jacob Batalon se décarcassent avec les misérables miettes qu'on leur donne à jouer. Quant à Tom Holland, il y met du cœur mais rien à faire, son Spider-Man se balance entre les lourdeurs et les manquements du script mais n'arrive qu'à un plat. Les rares soubresauts dramatiques sont dilués dans une mixture à parts égale entre les grosses ficelles et les blagues miteuses.
Douloureux. Le reste ? Du même niveau voire pire.
Ne jouons pas les naïfs, beaucoup d'entre-nous savaient qui allait revenir dans cette grande fiesta. À la rigueur, on pouvait supputer sur la présence non-confirmée (mais largement éventée) de certains comédiens bien connus. Sans gâcher le plaisir à grand monde, sachez que le retour le plus convaincant demeure celui du Bouffon Vert, campé par un Willem Dafoe visiblement ravi de prendre son chèque. En ce qui concerne les autres, c'est une horreur. No Way Home traite ses invités surprises avec un manque de délicatesse effroyable. Octopus et Electro sortent considérablement dégradés d'un film qui les associe à des joujoux pour tout-petits, quant le Lézard et L'Homme-Sable n'ont rien à faire de leurs 5 minutes d'apparition. Pour les autres guests, sachez qu'ils sont au centre de plusieurs scènes parmi les plus gênantes du long-métrage (et Dieu sait qu'il y en a). À force d'apparitions banales, de dialogues crétins, de ritournelle flemmarde et d'humour visqueux, tout cela achève de transformer le fantasme de fans en non-évènement intégral.
Par dépit ou cynisme, Jon Watts a semble-t-il abandonné ses qualités de conteur pour celui d'exécutant peu investi. La facture générale est moyenne, affichant un très grand nombre de fonds verts visibles comme le nez au milieu de la figure et une photographie obscure qui souligne les incrustations des comédiens. Pour les scènes d'action, à moins d'être peu regardants, il faut reconnaître qu'elles alternent le bâclé et le déjà-vu en bien mieux (notamment chez Raimi, que le film recopie à un niveau pas permis). La seule séquence exaltante, entre Spider-Man et Dr Strange, est passablement entachée par sa propre raison d'être, à savoir le rebondissement le plus bête de cette fin de trilogie.
Il y a de quoi être peiné à voir l'argent investi pour souiller les deux films antérieurs (qui n'avaient déjà pas grand chose pour eux) et dilapider l'héritage des précédentes adaptations.
C'est dans les dernières minutes que No Way Home relève un tout petit peu la tête, le temps d'un générique rappelant les expérimentations 2D/3D de New Generation...Et le petit moqueur en moi perçoit la scène bonus comme la digne fin d'une mauvaise blague à propos d'un célèbre opposant à Spider-Man qui s'est récemment distingué en salles pour sa grande...hardiesse dirons-nous.