On l’avait déja remarqué lors de la sortie des Eternels, la première de l’histoire du MCU à mentionner le nom d'une réalisatrice (Chloé Zhao) , à laquelle succède aujourd'hui celui de Sam Raimi : une micro-révolution se!mble advenir dans cet univers franchisé où le studio fait la loi et dicte à ses tacherons comment conduire un opus avant tout conçu comme la suite des précédents et la bande-annonce des prochains.
Il ne faut pas pour autant s’y tromper : Sam Raimi est en soi un ingrédient du fan service, le réalisateur étant l’heureux papa de la première et désormais classique trilogique consacrée à Spider-Man. Car il faut bien l’admettre : après 20 ans de règne des super héros, le genre est devenue une galaxie à la longévité telle qu’on peut y déceler les arguments d’une querelle entre anciens et modernes, ainsi qu’une fatigue qui la conduit (depuis longtemps déjà) à la pratique active du recyclage.
La présence de Sam Raimi est néanmoins un argument qui fait mouche, et pourra enfin exciter un nouveau désir pour un film du MCU. Car si l’on se souvient de ses bons et loyaux services pour projeter les toiles de Peter Parker sur grand écran, c’est surtout son cinéma d’horreur bourré d’inventivité qui a marqué les cinéphiles et forgé la pate du réalisateur. De quoi insuffler une tonalité nouvelle dans un opus qui va comme toujours faire le job d’une construction scénaristique en archipel, nécessitant des connaissances des films et séries précédents pour en cerner tous les enjeux. Sur le plan de l’écriture, Doctor Strange poursuit donc avec cette gestion laborieuse d’arcs qui sont surtout destinés à assurer le monopole de Disney sur l’entertainment, et exige du spectateur une crédulité sans faille, à grands renforts de livres de sorts, de légendes sur la montagne, de pouvoirs légendaires et autres règles énoncées pour être aussitôt contournées.
Le principe même du multiverse est en cela bien pervers : s’il ouvre sur un terrain de jeu sans limites (comme l’illustre bien cette traversée initiale où la direction artistique s’offre une seconde sur chaque univers, y compris celui de l’animation), il permet aussi des expériences scénaristiques qui ressemblent surtout à des brouillons filmés en direct, à l’image de toute cette séquence chez les illuminatis. On présente, on combat, on meurt en un quart d’heure et on swipe : effectivement, le MCU a dans ce registre de belles décennies devant lui.
Reste effectivement le plaisir du réalisateur à jouer avec les codes du film horrifique tout en restant dans les limites d’un film qui restera destiné aux familles. Gros monstre gluant énucléé, jump scares en pagaille, travellings tremblants et apparitions de démons ponctuent avec une certaine jovialité le parcours balisé des protagonistes. Le jeu sur les espaces et les kaléidoscopes propres au premier opus s’efface un peu au profit de la sorcellerie de Wanda, dont la quête déraisonnable s’avère presque touchante.
Raimi semble néanmoins trop gourmand, et on en vient à regretter le manque de moyens qui permettait l’euphorie de ses premiers films : la débauche visuelle et la tyrannie de la gradation conduit à un mélange des genres frôlant l’indigestion. Au milieu des traditionnelles question de filiation et de couple, le film convoque à peu près tout ce qui est imaginable, dont des zombies, des mages noirs, des démons aux membres multiples, des batailles à coups de notes de piano à queue et des démons dézingués à la lampe torche. Cette compilation à la Tex Avery a de quoi déstabiliser, tant le MCU a habitué au plus grand sérieux dans son accumulation d’incohérences ou de clichés. Ici, le sourire qu’elle peut générer laisse entendre une certaine victoire du réalisateur, qui parvient à insuffler, même dans ses maladresses, une plaisir régressif généralement banni des vaisseaux amiraux de l’entertainment.