Une merveille de bidonville
Connaissant quelques films de Kurosawa, je m'étais habitué à voir de grandes fresques, des populations gigantesques, des batailles épiques dans un japon médiéval et des enseignements de valeur et de morale, issus d'adaptations d'oeuvres littéraires classiques asiatiques ou occidentales. Force est de constater que pour son premier film en couleur, Kurosawa en association avec trois autres réalisateurs à choisi d'opter pour une vision plus neuve, plus moderne, plus fine par certains aspects et d'approfondir un regard sur l'humain en ne pétrissant pas ses personnages d'un esprit guerrier mais au contraire d'un portrait tout en équilibre d'un bidonville en prenant leurs actes pour ce qu'ils sont : des actes commis par des humains, bons, ou mauvais, travailleurs, fainéants, intelligents, idiots, mesurés ou ivrognes, timides, tristes, un regard sur l'humain si équilibré qu'il communique une image pure, sans haine et sans joie. Pourtant l'histoire n'est pas rose...
Quelle histoire ? (sans spoil)
Point de spoil ici ! on suis simplement l'histoire de plusieurs personnages dans un bidonville, des archétypes humains, ce sont eux qui par leur existence et leur vie vont définir un équilibre dans l’œuvre apportant tantôt la joie, tantôt la haine, tantôt la tristesse, le plaisir du jeu, l'attendrissement, la peine. Ce n'est donc pas une histoire, mais une multitude d'histoires qui s'entrecroisent et offrent chacun leur vision de leur vie. Mais il serait simple de croire que les sentiments juxtaposés l'un après l'autre suffisent à définir l'apparente vision aigre-douce qui ressort de l’œuvre, puisque les choix scénaristiques ici ne visent pas à montrer les actes et les faits de façon manichéenne ou à faire sombrer dans une histoire larmoyante. Les personnages sont simplement montrés, juste définis en tant qu'êtres humains, le plus fort résidera simplement dans un choix des histoires cohérentes montrant les individus sous de multiples grilles de lectures, au delà de l'archétype primaire qu'il peut représenter, en clair le fou peut se faire timide, fier, appeuré, joyeux.
Et les personnages justement ?
Ils sont complets, riches, amusants et amusés, mais leur présence jamais n'est anodine. Au travers d'histoires en apparence souvent tristes, les réalisateurs ( je le répète Kurosawa n'était pas le seul ) offrent des personnages riches qui non seulement définissent en premier aspect un archétype psychologique mais vont évoluer, vivre, et définir tout une gamme de changements, tout en retenue et en maitrise, la clef pour des personnages qui ne sombrent pas dans le déballage, ce qui les rend à la fois inperceptibles et pourtant étonnament empathique, colorés même.
Et la photographie tient parlons-en,
Comme déjà dit Dodes'kaden constitue le premier film en couleur de Kurosawa, et pour célébrer l'acte il a décider de mettre les petits plats dans les grands et de faire sortir de cet univers dégoutant et en ruine que peut constituer un bidonville, tout en code de couleur qui rendent le film étonnamment coloré de jaune, de rouge, des lumières du soleil de rêveries et de champs verts, de fleurs, de vie, même la maison du fou tapissée d'images de tramway envoient une belle dose de couleur à ce film, et même un certain personnage pourtant aisé semble toujours vivre dans ces bidonvilles qui se décrivent au fil des scènes davantage comme un petit quartier, populaire certes, mais rempli de la vie qui anime les vieux quartiers remplis de gens qui vivent et échangent. Les couleurs d'ailleurs sont si importantes qu'elles témoignent de la vie, des espoirs et des ressentiments d'un être plein de vie, entier, avec néanmoins un certain gout pour le théâtral, sachant que Kurosawa s'est spécialement impliqué dans la photo et la mise en scène on reconnait d'ailleurs la pâte du réalisateur.
Ok les personnages sont puissants, l'histoire est maligne et l'environnement riche, le tout de façon plutôt originale, pourquoi pas 10 alors ?
Un seul et unique défaut qui n'en est pas vraiment un fait que ce film n' a pas 10. Le défaut est en réalité intrinsèquement lié aux choix du scénario. Une tranche de vie est un peu comme une tranche de rossbeef (mmmh les métaphores sur la nourriture me manquaient) et le choix de faire un film tout en retenu maitrisé peut parfois donner une étrange impression d'avoir simplement regardé par la serrure d'une porte dans le but d'observer des gens. Je n'ai pas ressenti tout de suite cette sensation, mais seulement plus tard : je suis venu, j'ai vu... j'ai vu, plusieurs histoires, et finalement quelques jours passés avec une population qui vit par elle-même, et c'est tout personnel mais voir la fin de ce film m'a frustré, j'aurais voulu la suite pour vivre un peu plus longtemps à leur coté dans un bidonville si riche.