Toute la réussite (et le petit miracle) de ce film tient en un mot: équilibre.
Kurosawa plonge pendant un peu plus de deux heures (alors qu'il en voulait au minimum le double à l'origine, lorsqu'il adapte le roman de Shûgorô Yamamoto) dans la vie sordide d'un bidonville en évitant les deux écueils "normaux" d'un réalisateur moyen, ou normal.
C'est n'est jamais larmoyant, ce n'est jamais non plus une ode à une forme de pauvreté noble.
Ce ne sont que des gens qui vivent là, et qui font comme ils peuvent pour s'en sortir. Certain avec grandeur d'âme, d'autres avec résignation, d'autres encore avec scélératesse, la plupart le plus dignement possible.
Kurosawa ne porte aucun jugement de valeur, il ne condamne ni n'encense personne. Il suit avec un regard éminemment humain et proche toutes ces destinées, le fou, le voleur, le sage, le cocu, les ivrognes, le mendiant, la femme éplorée, la pondeuse, les éternelles commères agglutinées autour du point d'eau, la malade, la sacrifiée. Tout arrive, du plus beau au plus affreux (vol, viol, tentative de meurtre, folie, abandon) mais sans que jamais nous ne versions dans le sordide.
Et lorsque le pire arrive, nous ne sommes non dégoûté ni en colère. Comment en vouloir, par exemple, au mendiant qui empoisonne et laisse mourir son fils ?
Restent les petits moments miraculeux, fleurs délicates et colorées au milieu de la décharge: la scène du voleur aidé, celle du peintre en travers d'une voie de tramway qui n'existe pas, le poivrot qui ne sait plus (et on le comprend) où il habite ou enfin, la plus belle de toute, celle du cocu qui explique à ses enfants comment ils doivent définitivement trancher pour savoir s'il est leur père ou non.
Kurosawa réalisait là son premier film en couleur. Le résultat est éclatant !