Echec et meute
L'être humain est, avant toute autre chose, un animal social. Mais comme il aime plus que tout se raconter de réconfortants mensonges, il fait tout ce qui est son pouvoir pour l'oublier, et feint de...
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Matteo Garrone revient aux choses (très) sérieuses, trois ans après son Tale of tales épais et négligeable, avec un film coup de poing en forme de "comédie humaine" macabre et poisseuse. Inspiré d’un fait divers qui choqua l’Italie à la fin des années 80 (un toiletteur pour chiens tua la terreur du quartier qui le martyrisait en le torturant à mort ; la liste des sévices endurés est, à ce titre, digne d’un récit du Moyen-Âge), Dogman décortique les liens de dépendance et de soumission (et presque de sadomasochisme, de fascination malgré le danger, la scène d’ouverture résumant à elle seule tout le film) entre deux hommes qu’absolument tout oppose, Garrone esquivant d’ailleurs l’horreur de la conclusion au profit d’un âpre suspens et d’une lutte à mort.
Entre la brute neuneu et le frêle toiletteur, gentil monsieur Tout-le-Monde et bon père de famille, tout est question de dominé/dominant, d’affinités troubles dont les bases, longtemps, paraissent insaisissables, voire indéchiffrables. Si l’on comprend que Simoncino profite abusivement (et facilement) de Marcello, l’inverse reste plus difficile à appréhender (certes, Simoncino aide Marcello à danser avec des filles en boîte de nuit ou lui promet beaucoup d’argent). Marcello est seulement là qui encaisse, Marcello endure, sous emprise, par défaut, par obligation, par peur, et jusqu’à ce point de rupture qui s’annonce inévitable, grondant et menaçant dans l’air.
Cette dynamique infernale entre ces deux-là (de corps, d’attitudes, de rapports) est ce qui trame, ce qui structure le film (en comparaison, le reste paraît quasi accessoire, un rien ennuyeux), quand ils se tournent autour, ou quand ils interagissent, ou quand l’un amadoue l’autre, ou quand l’autre rudoie l’un, le fracasse contre un mur. Des tentatives de raisonnement de Marcello, de ses suppliques et ses couinements, du regard bestial de Simoncino, de sa masse de muscles lourds et ses accès de rage, Dogman nourrit une tension terrible, puise une force primitive que décuple le duo Marcello Fonte (une vraie gueule de cinéma, à l’ancienne, qui a amplement mérité son prix d'interprétation à Cannes) et Edoardo Pesce (très impressionnant lui aussi, dans un autre registre).
Beaucoup ont évoqué la métaphore politique du film (une Italie moribonde face à sa violence sociale et ses démons identitaires), pourtant davantage versé dans l’allégorie religieuse. Religieuse dans l’évocation du combat de David contre Goliath ou dans le caractère un rien miséricordieux de Marcello (la scène où il ramène Simoncino à moto, blessé par balle, est magnifique). Ou quand il trimballe sur ses épaules la carcasse de sa Némésis comme Jésus trimballait sa croix, puis exhibant son "trophée" (Marcello a vaincu le "monstre" qui terrorisait la région, tel Saint Georges terrassant le dragon traîné ensuite dans la ville) comme la légitimation de sa pénitence (un an de prison pour avoir couvert Simoncino) et d’un retour en grâce (il a trahi ses amis). Mais Garrone ne croit ni aux miracles ni au sacré, seulement à la Géhenne (cette cité littorale délabrée où se situe le film, Villaggio Coppola, a des allures de purgatoire), et la fin de Dogman résonne surtout comme le constat cruel d’une violence qui pousse et réduit l'humain à ce qu'il est le plus souvent : une bête condamnée au septième cercle de l'enfer.
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le 13 juil. 2018
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