Echec et meute
L'être humain est, avant toute autre chose, un animal social. Mais comme il aime plus que tout se raconter de réconfortants mensonges, il fait tout ce qui est son pouvoir pour l'oublier, et feint de...
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Matteo Garrone qui n'a pas fait l'unanimité avec son précédent et pourtant somptueux film, "Tale of tales" abandonne chimères et féérie pour revenir à un récit sur un mode plus réaliste dans la lignée du saisissant "Gomorra" tout en se réservant une vraie distance entre l'un et l'autre.
"Dogma" est un film à lecture multiple. On peut tout à la fois se limiter au premier degré, une sombre vengeance sur fond de misère, sordide fait divers mis en relief élégamment sur grand écran. Cela explique pour beaucoup le reproche du "trop peu" du film (violence contingentée, action lente…). Mais, et on le ressent très bien à chaque plan, le réalisateur vise plus large que la simple portée mécanique de l'acte (l'avant, le pendant et l'après).
Il se réfère pour cela aux grandes heures du Cinéma Italien d'après guerre aux couleurs du néoréalisme, se dédouanant de ses dogmes toutefois, et tranche finalement sur le caustique. Il retrouve là le sel de la comédie à l'italienne, mordante, grinçante. Il n'en retient que l'essentiel, ici l'acte dépasse largement les protagonistes et l'inscrit dans la vision plus large du contexte social et de la morale. Il s'agit ici d'une véritable tragédie satyrique à l'antique, aussi intemporelle qu'universelle sur la destinée dont Marcello est le malheureux héros ordinaire. Et même si dès le début on subodore tout ce qui va se produire, ce n'est pas le plus important, la forme dominant le fond. Ce film est la chronique de sa fin annoncée, Garonne multiplie les effets techniques et de mise en scène pour l'illustrer.
Le décor extérieur de forme elliptique en est le théâtre. Cette station balnéaire à l'abandon accentue le côté microcosme de l'environnement du héros. Il semble qu'il est difficile d'en sortir tout autant que d'y rentrer. Rien ne distingue ce quartier des autres quartiers péri-urbains des années 70, ensemble de béton fantomatique, petits commerces en souffrance en pied d'immeuble qui survivent grace à leurs activités parallèles. Survivre, le mot est lâché !
Marcello avec son physique de piaf tombé du nid s'y est installé il y a quelques années et n'a eu de cesse de vouloir s'intégrer, d'être reconnu, ce qu'il réussit bon an mal an jusqu'à être un des notables de cette cour des miracles. Mais Marcello en plus d'être ambitieux, est un homme de principe ce qui va provoquer sa perte. En définitive, il est un honnête homme et il lui est impossible de trouver sa place quelque soit le niveau d'échelle de la société. Ce personnage devient alors emblématique, et le film se transforme en une critique sociale d'une nation suspendue depuis son unification entre espoirs et désillusions et interdépendante d'un esprit mafieux.
Marcello est Marcello Fonte. Son prix d'interprétation à Cannes est amplement mérité tant il fait des merveilles dans ce rôle. Le film n'aurait sans doute pas eu la même consistance sans lui. Car il est un acteur complet, c'est d'ailleurs incroyable comme il fait penser au regretté Toto. Un physique atypique, une présence inouïe, il vous emporte du rire aux larmes en une fraction de seconde et porte sur ses frêles épaules tout le désespoir et la générosité de ce personnage d'ors et déjà mythique. Il est fantastique !
Techniquement, le film a également de quoi réjouir. Matteo Garonne donne libre court à son goût prononcé de l'esthétisme (lorgnant ici du côté de Greenaway). Ses plans alternent froideur (géométrie des paysages), inquiétude, voire peur (gros plans, moyens ou rapprochés sur le drame en devenir), chaleureuse intimité (le mordoré des scènes apaisées), facétie (toilettage du dog, chiens en cages comme observateurs privilégiés…) le tout orchestré sur une bande son métallique et virulente qui ne laisse guère de doute sur ce qui est en train de se produire ou se produit. La lumière quant à elle, crépusculaire, en ombrée ou douce, construit l'atmosphère du film. Et que dire des décors extérieurs ou intérieurs si ce n'est qu'ils sont habilement choisis et éclairés et si inquiétants.
La vision de Mateo Garonne est sombre, implacable et sans compromis. Tout comme "Gomorra" ou encore "Tales of tale" la morale est éreintée au profit de choix, d'actes qui s'ils paraissent répréhensibles trouvent toutefois une explication. Le cheminement de Marcello aurait pu être tellement différent s'il avait eu confiance en lui. Sa faiblesse apparaît alors comme une déchirure tant le personnage est attachant. Avait-il seulement le choix ?
"Dogman" est un film qui se mérite. Ce n'est réellement qu'à la seconde vision que j'ai pris toute l'ampleur de sa beauté formelle, de son incroyable consistance et férocité, en un mot de son excellence. Il fait partie de ces films qui ont besoin d'une maturité et sur lequel on peut gager que la critique dans quelques années le classera comme un chef d'oeuvre.
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Créée
le 29 août 2018
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