Dogs est un de ces rares films dont l’univers tout entier habite le spectateur. Quelques notes proches du Western habillent un film souvent contemplatif, interprété avec brio et ponctué de scènes plutôt grandioses. Privilégiant les lents travellings avants (comme dans la scène d’ouverture du film) et les plans larges, Bogdan Mirică, pour ce premier métrage, confère une aura singulière à un récit non dénué d’humour noir. Noir, le récit l’est en effet complètement. On se tue ouvertement dans ce film de menace sourde où la police (avec un chef aux allures de shérif) est moquée au travers d’un cabot nommé Policia qui se transforme en petit toutou devant le caïd du coin. Ce caïd semble régner sur un no man’s land qui appartient au « presque » personnage principal (car il n’y en pas ici, il n’y a que des rôles égaux) à la suite d’un héritage dont il compte bien liquider les terres en quelques jours. Mais rien ne se passe si bien que prévu. Avec une ambiance feutrée et épurée, mais qui sait aussi exploser, le film distille de la peur (avec des plans de nuit, des bruits, des lumières qui surgissent). Il crée surtout des personnages passionnants, tous convaincus de leur laideur intérieure, mais comme empêchés de faire autrement. Le décor l’est aussi (passionnant), comme cette maison ouverte à tous les vents, d’où des bruits d’insectes s’échappent.


Chiens errants


Le chien de garde aboie beaucoup, mais n’est finalement pas d’un grand secours quand il est enfin temps. Tous se cherchent, se flairent, se tournent autour, règlent leurs comptes. La menace n’est pas frontale, elle est biaisée et se matérialise sous la forme d’un pied sans corps, arraché par un porc. On s’affronte ici sans se dire vraiment pourquoi, ni comment. La mort surgit bien malgré les personnages qui peut-être ne se méfient pas assez. C’est qu’ils croient avoir tout vu, n’avoir peur de rien (sauf de Dieu, qui a aussi peur d’eux, disent-ils), mais sont surpris par la mort avec au choix une balle ou un marteau. La mise en scène est impeccable, l’ambiance aussi. On est presque au far west, en pleine Roumanie pourtant. L’anti-héros du film est finalement ce flic taciturne, mourant et lucide qui promène sa nonchalance sur tout le film, se traîne, enquête sans véritable conviction. La seule qu’il a, c’est que ce monde-là est déjà perdu, que la justice n’y triomphera certainement plus jamais. L’homme est donc un animal doué de la force d’inventer des stratagèmes pour se torturer toujours plus douloureusement. De la scène d’ouverture, qui fait respirer une rivière, à la scène de clôture, qui fait s’affronter les deux « tronches » du film, tout est impeccable et maîtrisé. Un vrai moment de cinéma.

eloch
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le 13 oct. 2016

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