Avec Re-Animator puis From Beyond, Stuart Gordon est devenu un incontournable de l'Horreur. Ces deux comédies déjantées et très gores sont suivies par un opus loin d'être aussi explosif : Dolls aka Les Poupées, produit routinier mais identifiable grâce à quelques exploits de surface. Le film contient une superbe galerie de monstres mais n'ose mettre en avant aucun personnage pour lui-même (y compris Teddy, cette peluche sous emprise restant réglée sur le parcours de Julie) et ne les approfondit pas. Par conséquent Gordon a beau devancer Child's Play (1988) et Puppet Monsters (1989) au rayon des jouets tueurs, ces deux-là ont un boulevard à conquérir et inventer – ils auront d'ailleurs chacun leurs sagas : le premier lance les Chucky, le second filon atterrit vite dans le bis qui tâche.
Dolls a un vice assez simple : il repousse les opportunités, est rebelle aux registres qui devraient être ses modes de prédilection, mais il néglige sa propre originalité dans le même temps. Le résultat est agité mais remuant, agressif et toujours superficiel ; surtout, replié sur des repères désuets (tempête, maison de campagne bizarre, etc). Les personnages sont grossièrement caractérisés, entre pauvres archétypes 'actuels' (les deux jeunes punk dont l'une est totalement dominée) et figures poussiéreuses (le vieux couple solitaire, le magicien fou), ces dernières étant valorisées et leurs prestations soignées. Judy occupe plus de temps d'écran et n'est qu'une sous-Alice sans curiosité. Le ton semble hésitant : les options 'sérieux' et 'vraisemblance' sont omises d'entrée de jeu, mais on balance entre la compassion, l'humour et la violence, piochant un peu dans tous et n'assumant aucun sur la durée. L'ironie morbide est constante mais très passive, les pics sarcastiques ont l'air de vieux restes égarés là par devoir et par hasard.
L'issue 'positive' (avec le salut des deux âmes d'enfant) est astucieuse, le début sait encore entretenir un trouble prometteur ; mais le seul vrai succès est dans l'offensive des poupées, aux chorégraphies impressionnantes (meilleurs effets spéciaux pour le Fantafestival de 1987). C'est l'occasion pour Gordon de donner à sa femme une mort et une transformation spectaculaire (Carolyn Purdy, passée des planches à l'écran pour lui, ici en marâtre et belle-mère de Judy). Les performances des jouets font enfin de Dolls un bal grotesque concluant, voué à exister que par le visuel et la sensation immédiate (voir Re-Animator avec du 'recul' gâchait déjà son intérêt – et lui était riche). Le film peut être une excellente expérience horrifique pour des enfants assez âgés : il est sanguinolent mais assez mou et vide, ne cherche ni ne sème de troubles. Sa notoriété et sa cote favorable doivent d'ailleurs beaucoup à l'attachement nostalgique. Enfin la courte durée (moins d'1h20) est liée à des problèmes de calendrier : le film en tire un semblant d'intensité, des explications supplémentaires l'auraient plutôt enfoncé (il est déjà suffisamment lent avec une tendance à verser dans le monocellulaire).
https://zogarok.wordpress.com/2021/10/15/dolls-les-poupees-gordon/