Téléfilm de luxe
Donc, les Danois, quand ils veulent faire un téléfilm, ils font appel à Brian de Palma pour le réaliser. Si le film, dans son ensemble, ne serait pas déshonorant pour un quidam, il ne comporte pas...
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le 8 juin 2019
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L'hallucination d'apprendre que le dernier film de Brian De Palma est sorti en DTDVD aux USA et qu'il en sera vraisemblablement de même chez nous... Ce grand maître, l'un des cinéastes les plus adulés aujourd'hui, ne parvient pas à trouver les honneurs d'une projection en salle ? Le film serait donc si raté que ça ? Il faut dire que de tous les films de De Palma, c'est sans aucun doute son plus fauché, son plus cheap, produit par des Danois, avec des acteurs Danois ou Hollandais, mais quand même deux grosses stars de Game Of Thrones (ça ne remplit pas les salles, ça ?), avec une direction photo atroce de José Luis Alcaine qui avait déjà salopé Passion et qui salope tous les films d'Almodovar depuis 20 ans (il y a bien que sur le dernier Douleur & Gloire qu'il fait un travail pas trop dégueulasse), donnant aux films qu'il touche, et particulièrement celui-ci, un aspect télévisuel froid et sans aspérités. Et lorsque c'est pour un film qui ne sortira pas en salle, le contraste est encore plus violent puisque pour le coup ça ressemble doublement à un télé-film, c'est vu à la télé et ça a l'image d'un film télé. Le fait que ce soit une production européenne n'est je pense pas un problème pour le cinéaste qui a souvent tourné hors des USA. Mais le fait qu'il ne soit pas responsable du scénario et, surtout, qu'il ne possède pas le final cut, sont des points autrement plus problématiques. Malgré tout ces défauts, car il y en a plein à la base, De Palma parvient à faire un film incroyablement personnel, alors que franchement ce n'était pas gagné, et surtout à y glisser toutes ses obsessions récurrentes et, c'est là où cela devient intéressant, car ses obsessions sont de plus en plus sombres... Visuellement, le spectateur y retrouvera les jeux de dupes, une scène d'ascenseur, un split screen (qui n'a jamais été aussi simple dans le dispositif et aussi macabre dans les faits), une grande scène finale de suspens au ralenti où tous les éléments s'agencent lentement jusqu'à l'inéluctable (elle est partiellement ratée mais comporte des moments de bravoure)... Bref toute la grammaire depalmienne est là, mais encore plus désincarnée que d'habitude, handicapée par les conditions techniques évoquées plus haut. Qu'importe, il l'applique néanmoins. La noirceur du propos est surtout amenée par le sujet du film, comme si De Palma pressait (comme on presse un citron) le scénario pour en extraire ce qui l'intéresse et l'orienter dans une direction personnelle. Le sujet du film, je ne vous raconte pas l'histoire, pour ne pas gâcher le plaisir, c'est Daech, et le terrorisme au sens large, et le film peut raisonner dans un premier temps comme une version plus "fictionnalisée" de Redacted, qui était lui-même un essai théorique rebondissant sur Outrages. Bizarrement, De Palma (ou le scénariste, je l'ignore), décide de placer son action dans le futur, en 2020, alors que le propos aurait été plus pertinent si ce fait, fictionnel, avait trouvé le moyen de s'inscrire dans la véritable histoire récente. Qu'importe. Je vais spoiler donc attention : l'un des grands moments du film est un attentat sur le tapis rouge d'un grand Festival de Cinéma international. Il est inventé, il se situe à Copenhague, mais il est évident qu'il est sensé représenter le Festival de Cannes. La terroriste débarque sur le tapis rouge et dézingue tout le monde avant de se faire sauter. Et elle se filme doublement, une caméra filme son visage, l'autre la résultat de son action, créant ainsi le split-screen évoqué plus haut : le double visage de la terreur, dans son objectivité et dans son intimité. Le fait que De Palma dézingue Cannes est à la fois représentatif de sa peur personnel d'un acte terroriste dans un endroit qu'il est susceptible de fréquenter ainsi que sa frustration à en être banni : ses films ne sortant même plus en salles, comment pourrait-il être invité à monter les marches ? Bref, il adopte ici une position de maverick, qu'il occupait au début de sa carrière et trouve le moyen de jouer au gosse capricieux et de venir tout péter dans ce milieu bourgeois du cinéma institutionnel duquel il n'a jamais vraiment fait partie. Comme un pied de nez, la scène est montrée deux fois et revient au moment du générique final, c'est là-dessus que le film se termine, tout est dézingué sur le tapis rouge. Rideau ! Avant cela il est bon de dire un mot de la grande scène du film, celle de la corrida, se déroulant dans des Arènes espagnoles où des terroristes, encore eux, tentent de tout faire sauter. Cette grande scène évoque évidemment la scène d'orchestre finale de L'Homme qui en savait trop, et comporte même une relecture du Boléro de Ravel arabisante (c'est toujours Pino Donaggio à la bande son, c'est un signe), après celle de Fatale orchestrée par Sakamoto. Le renvoi à Fatale est évident. A l'époque, le film s'ouvrait déjà sur le Festival de Cannes, mais il n'était question, de mémoire, que de commettre un vol (au pire d'assassiner une personne). Cette grande scène donc, est partiellement ratée, mais est la preuve que De Palma a encore envie de filmer et de réaliser des choses ambitieuses et démesurées. Mais encore faut-il que quelqu'un lui en donne les moyens.
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le 3 juin 2019
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le 8 juin 2019
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Bon ! Je vais être direct avec vous et employer les grands mots, ce film est un désastre cinématographique impensable. Ce long-métrage pue le manque de budget dans toutes les scènes. C'est vide et...
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