Christian Moullec, météorologue de profession, existe réellement et a bel et bien réalisé l’exploit de faire voler avec lui des oies naines, afin de leur apprendre des voies migratoires moins meurtrières que celles qu’elles empruntaient jusqu’alors. Belle tête à la chevelure aussi éclatante que le plumage de « ses » oies, il aurait pu dignement faire l’objet d’un documentaire qui aurait passionné les foules. Nicolas Vanier, préférant exploiter la voie de la fiction qu’il a ouverte en 2017 avec le charmant « L’Ecole buissonnière », scénarise le tout avec Christian Moullec lui-même, Matthieu Petit et Lilou Fogli - qui incarnera également une journaliste vouée à la cause du meneur d’oies - et grimpe sur les ailes d’une superbe histoire d’adoption réciproque et de transmission qui emporte son public dans une ascension jubilatoire.
Tout, en effet, sera affaire de lien, dans ce film émouvant, enthousiasmant, et à la sensibilité si contagieuse. Les liens qui devront être créés avec les oies, et cela dès leur état d’œufs, afin qu’elles s’habituent au bruit du moteur de l’ULM qui les guidera, puis dès leur éclosion, à l’aspect des êtres humains sur lesquels tombera leur premier regard, si bien qu’elles les considèreront comme leurs parents et seront disposées à les suivre dans tous les envols.
Le recours à la fiction permet de faire se pencher sur le berceau de ces oisillons un père (Jean-Paul Rouve, excellent) et son fils (Louis Vazquez, à la hauteur, d’abord gominé en mode titi parisien, puis abandonnant au vent sa belle chevelure noir de jais), eux-mêmes divisés par la séparation du couple parental, et pour qui cette aventure sera l’occasion d’une découverte et d’une adoption, mutuelle et émerveillée.
Mais ces liens, plus ou moins directement filiaux, ne seront pas les seuls à être explorés, puisque l’inquiétude qui sera contractée pour le fils, Thomas, et pour son esprit aussi aventureux que celui de son père, ne saura manquer de rapprocher les deux êtres qui lui ont donné naissance ; Mélanie Doutey crée pour la circonstance une mère pleine d’élan et très convaincante. Un visage d’ami, joliment joufflu, barbu, ventru, sera efficacement campé par Fred Saurel et jouera son rôle d’aide et de soutien, entre jovialité et émotion. Et même les réseaux sociaux seront de la partie et se verront dotés d’une force d’humanité et d’enthousiasme qui parviendrait presque à les réhabiliter et à leur donner sens.
Ainsi ailé, le film pourra prendre son essor et emmener un public ravi dans les hauteurs célestes, survolant avec les oies, et grâce à une technologie aussi invisible que performante, des paysages somptueux, du sud de la France jusqu’au nord de la Norvège. Qui aurait cru que tant d’émotion pouvait jaillir, à l’écoute des petits cris jetés par les oies en vol, de leurs criaillements et sifflements ? Livrés aux mains enfantines, les spectateurs crèveront les nuages, affronteront les orages et pardonneront à la belle musique, tantôt orchestrale, tantôt chorale, d’Armand Amar, son lyrisme, tant elle reflètera l’intensité des émotions qui les soulèveront.
Inconscient de l’impressionnante équipe technique qui lui aura procuré des vertiges si purs - citons toutefois le directeur de la photographie Éric Guichard -, le public retrouvera à regret le contact de la terre ferme, encore transporté par cette expérience singulière, si bien synthétisée par le nom véritablement réjouissant qu’une maison d’édition a eu la sagesse d’adopter : « Les Liens qui Libèrent »...