Richard Kelly est un réalisateur qui a sans doute vu beaucoup de films de David Lynch. Que cela soit le travail sur le son, son goût pour l’étrange, cette altération du réel, ces personnages funambules et « sauvages » (« grand mère la mort » qui ressemble au SDF de Mulholland Drive), cette crispation envers une Amérique puritaine gangrenée par ses secrets, Donnie Darko possède un véritable mimétisme dans certains choix de narration.
Pourtant Richard Kelly ne s’enferme jamais dans un confort qui falsifierait sa démonstration parfaite de l’étrange : il n’est pas juste un fanboy qui écrirait une belle dissertation sans âme, engluée sous ses influences. Il n’est pas juste un simple bon cinéaste qui nourrirait simplement son film d’innombrables idées de mise en scène, avec un sens du clip évident et une utilisation probante de la musique. Non, Donnie Darko est un film qui, au-delà de ces caractéristiques, marque son empreinte par sa faculté à donner corps à la dilution du teenage movie comme pouvait le faire Gregg Araki – on peut noter la présence de James Duval – ou même Sofia Coppola avec Virgin Suicides et qui essaye de disséquer toutes les interrogations d’une jeunesse aux abois.
Richard Kelly a une science de l’univers assez imposante : grâce à sa mise en scène aussi codifiée que miraculeuse, il trouve toujours la bonne tonalité pour asseoir son mélange des genres. Car derrière ce soleil qui inonde de ses lueurs les pelouses de résidences similaires, c’est l’obscurité d’une apocalypse qui va pointer le bout de son nez : mais l’apocalypse n’est pas celle que l’on croit. Par exemple, pendant qu’une inondation fait rage dans l’établissement scolaire, certains parents/profs sont plus inquiets par l’apprentissage de livres subversifs qui pourraient dénaturer l’innocence de leurs enfants et aller à l’encontre de leur croyance aveugle. C’est la trame d’un film qui tisse sa toile autour de l’incompréhension d’un monde où l’adulte est dépassé à la fois par ses pensées bigotes ou son manque de courage et par une jeunesse qui comprend de mieux en mieux la complexité de « la vie »: à l’image de cette mascarade qu’incarne l’exercice de « la ligne de vie » entre la peur et l’amour. Cette jeunesse est représentée par Donnie Darko : adolescent au trouble du sommeil compulsif et proche d’une forme de schizophrénie paranoïaque, suivi par une psychiatre et ayant la vision d’un lapin géant qui lui annonce des pulsions de mort et de fin du monde. Et par ce postulat, Donnie Darko s’avère être un coup de maître assez saisissant, un portrait d’une adolescence dépourvue d’elle-même : avec le regard interloqué d’un juvénile mais ébouriffant Jake Gyllenhaal, c’est une mosaïque de genres qui s’achemine devant nos yeux, où les idées de cinéma convergent à grandes enjambées. D’un plan séquence musical et halluciné sous fond de Tears for Fears qui nous introduit dans l’antre du collège/lycée , de ces insertions horrifiques noctambules, de ces multiples références (Evil Dead, Retour vers le futur…), de cette cristallisation de la SF par de simples effets spéciaux ou par le biais de discussions scientifiques sur le voyage dans le temps, Donnie Darko est un melting pot assez jouissif.
Une satire qui aime les ruptures de ton entre humour noir et grincement de dents comme pouvait le faire American Beauty de Sam Mendes : un crachat au napalm sur des adultes qui se mentent à eux-mêmes tout en déblatérant des connaissances et des pratiques sociales qui dissimulent des idéaux politiques néfastes. En ce sens , le personnage de Jim Cunningham en est la parfaite démonstration : cette Amérique du positivisme, du self made man, de la réussite heureuse mais dont le relativisme et les phrases à l’emporte pièce abritent des cachettes secrètes mortifères. Cependant, plus le film déroule sa musique, plus l’humour goguenard laissera place à une mélancolie adolescente amère, où l’issue n’en contient aucune. La grande force de Donnie Darko est sa capacité à se servir des codes inhérents du teenage movie pour les pervertir et montrer leurs vrais visages : l’idylle mièvre, la professeur grenouille de bénitier, la psychiatre, les têtes de turc de l’école, la petite sœur qui a la compétition dans le sang etc…
Tout cela est montré d’une telle manière que chaque cliché sera dévié de son imagerie première pour atterrir dans les sphères de l’étrange, du malaise et du trouble. Ainsi le film, à l’image de son sujet, évite cette notion primordiale : le déterminisme. Donnie Darko est une œuvre difficilement classable mais marquante voire essentielle en ce sens qu’elle voit l’adolescence comme point névralgique de l’observation d’un monde qui marche sur la tête et qui nie sa propre réalité.
Article original sur LeMagducine