Du cinéma vivant et libre
Donoma (le jour est là) a d'abord été mis sous les feux des projecteurs parce que son réalisateur Djinn Carrénard, dont c'est le premier long-métrage, se vantait qu'il n'avait coûté que 150 euros, mais qu'il avait par contre requis de l'énergie, de la débrouillardise et l'engagement d'ami(e)s comédien(ne)s. Derrière l'anecdote savoureuse, et qu'importe en définitive que Djinn Carrénard affabule ou exagère, reste un film inouï et unique dans le paysage actuel du cinéma français. Autodidacte, ayant construit sa culture cinématographique par la fréquentation assidue des salles obscures, le jeune réalisateur d'origine haïtienne affiche ses intentions : parler et montrer des choses de la vie que le cinéma (français) montre très rarement et s'affranchir des contraintes inhérentes au métier (soutien du CNC, recherche laborieuse de producteurs,...). Démarche insolente et revendiquée puisque Djinn Carrénard place directement le mot guérilla derrière cinéma pour qualifier son film. En explosant le carcan habituel de la production, le jeune homme refuse du même coup de verser dans le sociétal, le communautaire, le militant et encore moins le métissage. Il s'empare des codes du cinéma choral pour mieux les dynamiter en juxtaposant plusieurs histoires où il est tour à tour question d'éducation, de religion, d'aide sociale. Questions certes contemporaines au travers desquelles est d'abord mis en scène le langage, avec ou sans paroles d'ailleurs, langage comme source de conflits et d'incompréhension. La logorrhée qui se déverse durant plus de deux heures n'est pas sans rappeler celle à laquelle les jeunes héros de L'Esquive avaient également recours, avec la même langue imagée et rythmée, qui va même jusqu'à nécessiter des sous-titres parfois redondants.
Mais l'objectif de Djinn Carrénard n'est assurément pas le même que celui d'Abdellatif Kechiche en 2004 qui tissait des passerelles entre le langage de l'amour – le marivaudage d'hier versus la tchatche d'aujourd'hui. Ici, on est dans le viscéral et le vivant, dans la profusion des ressentis qui vont de l'agacement (qui donnerait presque envie de quitter la salle) à l'émerveillement qui vous saisit au détour d'une scène d'apparence anodine. Si on accepte le dispositif, quelques tics de filmage et le jeu à la fois maladroit mais tellement sincère des comédiens, on est entrainés dans une sorte de tourbillon, de maelström qui vous fait en effet passer par toute une palette de sentiments. À sa modeste et frondeuse manière, à laquelle on peut au moins accorder le bénéfice de l'authenticité, Djinn Carrénard reprend les bases du cinéma brut, peu aimable et ne cherchant surtout pas à brosser le poil du spectateur dans le bon sens, des maîtres Maurice Pialat et John Cassavetes. Du cinéma qui bouscule, énerve, irrite puis touche, émeut la minute d'après comme tout au long des joutes oratoires, interminables et épuisantes, qui confrontent les personnages dans des positions toujours fluctuantes. Djinn Carrénard redonne ainsi ses lettres de noblesse à la dialectique et à la rhétorique, à l'art de la dispute et à la nécessité vitale du dialogue. Tandis qu'il distille des ambiances mélancoliques et même tristes, révélant en filigrane la difficile communication entre les êtres humains, parce que la langue porte en elle équivoque et interprétation, Donoma (le jour est là) est pourtant un formidable pied de nez à la morosité ambiante, prouvant que l'ingéniosité associée à l'énergie et à l'envie de mettre en images ses idées permet de se lancer dans l'aventure de la création cinématographique. Loin des écoles institutionnelles et des chemins balisés, Djinn Carrénard promeut l'école de la vie, la culture autodidactique et la liberté irrévérencieuse. Ça fait un bien fou.