Avant de commencer par une carrière internationale, la grande majorité des réalisateurs sont passés par la voie des courts-métrages. Des films de petite durée par lesquels les cinéastes dévoilent déjà leur talent qui leur permettront de se faire repérer par les producteurs. Christopher Nolan fait partie de ceux-là, ayant démarré par trois courts-métrages dont celui-ci : Doodlebug (les deux autres n’ont pu être vus pour les besoins de cette rétrospective). Dans lequel il imposait déjà sa marque de fabrique : divertir le spectateur en le troublant.
Doodlebug n’avait pourtant rien de bien passionnant sur le papier, surtout avec un scénario qui suit un personnage chassant quelque chose avec sa chaussure. Même en trois minutes, cela peut sembler fort ennuyeux, d’autant plus que le script ne présente rien de bien passionnant : aucune information concernant le protagoniste, pas la moindre explication qui puisse renseigner le spectateur sur la situation… le tout sans la moindre réplique, le film étant muet de bout en bout. Mais c’était sans compter sur le talent scénaristique de Christopher Nolan à raconter des histoires, ayant compris qu’un scénario se construisait également par le biais de l’image.
Beaucoup de personnes critiquent encore aujourd’hui le manque de mise en scène de Nolan, ce dernier ne faisant que filmer ses personnages, leurs actions et leur environnement. Comparé à d’autres réalisateurs, il est vrai que Nolan n’a rien inventé. Mais avec Doodlebug, il prouve qu’une mise en scène des plus classiques peut se révéler être diablement efficace. Ici, il filme le personnage principal de près, dans un décor qui semble réduit pour créer un sentiment de claustrophobie difficile à supporter. Il instaure même une ambiance déroutante avec des plans d’insert (gros plan sur un objet précis) accompagnés de bruitages dérangeants (le tictac d’une horloge, les bulles d’un téléphone plongé dans un bocal), le tout rehaussé par un noir et blanc assombri et la musique quelque peu angoissante de David Loyd et David Julyan, pour que le spectateur ne se sorte pas indemne du visionnage après avoir été captivé pendant 3 minutes. Vous l’aurez compris : en jouant seulement avec les cadrages et le montage, Nolan arrive à titiller l’attention sans aucune difficulté quelconque.
Le réalisateur rend son film encore plus intrigant en cachant jusqu’à la toute fin ce qu’est cette fameuse chose pourchassée par le protagoniste. Il se joue ainsi du spectateur en laissant libre cours à son imagination en se posant certaines questions: que poursuit le personnage ? Est-ce un insecte ? Le fruit de son imagination ? Le protagoniste est-il fou en fin de compte? Par ce procédé, Nolan renforce le suspense de son film tout en faisant participer le spectateur via sa propre réflexion, l’incitant ainsi à rester jusqu’au dénouement. Et quand celui-ci arrive enfin, l’étonnement et la frustration n’en sont que plus imposants. Sans ne rien révéler dans cette critique, le final en déstabilisera plus d’un tout en dévoilant une mise en abyme inattendue qui révèle que l’homme, quelque soit la situation dans laquelle il se trouve, est son pire ennemi.
Avec un simple court-métrage de trois minutes, Christopher Nolan arrive à en tirer un huis clos sombre grandement travaillé et qui suscite irrémédiablement l’attention. Doodlebug se présente ainsi comme les prémices d’une carrière florissante avec laquelle le Britannique connaîtra la renommée en livrant des divertissements tortueux qui incitent le spectateur à ne pas laisser son cerveau de côté.