Juan Bustillo Oro était un réalisateur mexicain du début du XXe siècle visiblement sous l'influence du cinéma allemand expressionniste, voire de l'esthétique du cinéma soviétique — on peut penser à l'escapade au Mexique de Eisenstein à cette époque. Il faudrait étudier les passerelles entre le cinéma de Luis Buñuel, par exemple, vu que "Terre sans pain" date de 1933, et cette proposition empreinte de gothique dont l'action principale se place dans un monastère et dont on s'échappera à deux reprises à la faveur de deux flashbacks.
Formellement, "Dos Monjes" fait preuve d'une audace et d'une assurance plutôt intéressantes rappelant par moments les expérimentations d'un Robert Wiene période "Le Cabinet du docteur Caligari", en mode mineur. C'est dans un cadre très attrayant que naît une histoire à la "Rashomon", avec deux récits rétrospectifs éclairant un même événement selon deux points de vue. Dans cet environnement extrêmement austère, deux moines semblent nourrir un différend (l'un assomme l'autre avec un énorme crucifix) qui trouvera son explication dans leur passé commun. Disposition originale, sans esbroufe : la personne qui raconte l'histoire est habillée en blanc, tandis que l'autre moine est en noir.
Peu à peu, on comprend que l'origine de la discorde tient à une rivalité amoureuse, ainsi qu'à une incompréhension ou un malentendu : le premier était amoureux d'une fille que sa mère a recueillie, tout en étant proche d'elle comme un frère, tandis que le second ressentait une attirance coupable pour l'amour de son ami. Suite à un quiproquo, un tragique incident scellera leur antagonisme — une scène qui contient un certain ridicule dans la disproportion entre le drame qui survient et son origine. Le croisement des deux récits (le premier sera très étrange, avec des angles biscornus et des clairs-obscurs inquiétant, là où le second sera beaucoup plus classique) permettra d'accéder à la vérité et de comprendre ce qui conduit les deux hommes à entrer au monastère. C'est un peu léger sur le fond, mais il y a de vagues échos du côté de Dreyer qui ne sont pas déplaisants.